Ce fut l’un des grands drames nationaux de notre histoire républicaine, celui qui fait encore exemple, celui qui fait tache, et celui qui fait honte. Ce drame, c’est l’affaire Dreyfus, puis simplement "l’Affaire" quand Émile Zola, en 1898, décidera de s'en mêler. Mais J’accuse s’attache moins à celle-ci, à la développer précisément, qu’à raconter la recherche de vérité du colonel Marie-George Picquart, chef du contre-espionnage qui s’échina à révéler au grand jour les fautes et la partialité d’une condamnation illégitime, celle d’un homme broyé par un (voire des) système d’État, et bouc-émissaire idéal parce que juif à une époque où l’antisémitisme avait pignon sur rue.


"Des" parce que beaucoup s’ingénieront à entretenir, à entériner la curée : l’armée et la justice, la presse et les hautes sphères. Une recherche de vérité qui va s’apparenter à un périple dans les arcanes délétères du pouvoir et de la tartufferie. Avec une sécheresse remarquable (celle de ses meilleurs films, celle du Locataire, de La jeune fille et la mort, du Pianiste) mais non sans quelques scories (flottement de l’intrigue dans la deuxième heure, flashbacks mal amenés, Emmanuelle Seigner inutile…), Roman Polanski, emboîtant le pas de Picquart, explore ainsi ces couloirs et ces bureaux à n’en plus finir, ces ministères et ces tribunaux où le sort d’un homme se joue uniquement sur (à cause de) sa judaïcité.


Il a fait de J’accuse un film clos, étouffant. Un film d’intérieurs qui sentent le renfermé et la suffisance. Un films d’hommes aussi, de capitaines, de commandants, de lieutenants, partout et jusqu’à la lie. D’hommes confits dans leur autorité, dans leur clan rejetant désordre et intrusion, sûrs de leur rang et de leur grade et que Polanski n’épargne pas une seule seconde (même Picquart, "repenti" guidé d’abord par une soif d’équité que par une remise en question de son antisémitisme). Certes, la charge n’a rien de nouveau, mais elle est ici implacable (la séquence d’ouverture, saisissante). Il fait d’ailleurs de ses acteurs (tout le gratin du cinéma français est là avec, en tête de gondole, un Jean Dujardin honorable et un Louis Garrel sépulcral) des espèces de pantins fardés, raides et comme momifiés dans leurs apparats militaires. Et perdus dans "une société en décomposition", pour reprendre Zola, dans lesquels ils auraient eux-mêmes perdus tout honneur et tout sens moral.


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mymp
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le 27 mars 2020

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