Jeune et Jolie rappelle un peu A nos amours. J’imagine que sur cette comparaison lapidaire, gratuite et indémontrable, j’en perds la moitié d’entre vous. Pourtant oui, j’ai pensé au film de Maurice Pialat – J’aurais très bien pu parler de Buñuel, difficile en effet de ne pas citer Belle de jour. Isabelle, comme Suzanne, s’émancipe par la découverte de sa sexualité au point d’utiliser son corps à des fins purement expérimentales – Pour la science, aurait-on dit, dans une société reculée. L’une le fait en multipliant les aventures amoureuses, l’autre en se prostituant. Isabelle confiera pour sa défense aux policiers et à son psy – après la mort soudaine de l’un de ses clients – que ce qu’elle faisait relevait de l’expérience.

L’environnement familial n’a rien de comparable chez Ozon et chez Pialat. Au climat électrique de l’un répond une entité douce et alchimique ou presque chez l’autre. Presque, oui car il y a quelque chose d’assez destructeur là-dedans, de contaminé, mais qui parvient à rester masqué même lors des paroles de trop d’Isabelle ou lors de la découverte de son secret. Le fait que le foyer soit une famille recomposée n’est pas étranger à cette impression, d’autant que le mari de sa mère n’est pas son père ce qui occasionne un jeu de séduction étrange et maladroit. Rien n’est précisé concernant le petit frère mais il pourrait tout aussi bien être issu de ce mariage là ce qui crée une relation déroutante entre ce pré-adolescent et sa grande (demi) sœur.

Le film s’ouvre d’ailleurs dans une bulle estivale familiale où l’on ne soupçonne aucunement le portrait sous forme de saisons (rythmé par quatre morceaux de Françoise Hardy) que s’apprête à nous offrir Ozon. Pourtant, Isabelle est très vite guettée par les hommes, tout converge subtilement ou non vers un monde de désir et de séduction. C’est même à travers les yeux de son petit frère que le film s’ouvre puisqu’il observe sa sœur seins nus sur le sable à travers des jumelles. Le ver est dans la pomme, d’autant que quelques scènes plus tard, il la surprend cette fois en train de se masturber dans son lit.

Les parents ont aussi leur rôle à jouer là-dedans tant ils recèlent d’une grande ouverture d’esprit, jamais gênés d’évoquer l’amour et la sexualité de leur fille. Des parents cool, en somme. Sa mère voudrait qu’elle soit amoureuse de cet allemand comme elle voudrait plus tard, au printemps, qu’elle soit amoureuse d’un autre garçon. Mais l’allemand s’il pouvait devenir l’amour de vacances idéal (pour sa mère mais aussi pour Isabelle, qui quelque part à cet instant-là cherche encore peut-être l’adolescence sentimentale, le sexe idéalisé) sera juste bon à lui ôter sa virginité. Le film baigne déjà dans la transgression, le scandale. C’est une première fois inattendue, qui l’embarque ailleurs. Et si le lien avec la mère semblait fort, il semblait fort seulement, disparaissant progressivement au fil des saisons. Jusqu’à la rencontre finale avec Charlotte Rampling qui apporte là encore tout un tas de questionnements, d’inconnue.

Isabelle fête ses dix-sept ans comme Adèle fêtait ses seize ans dans le film de Kechiche. Festivité témoin d’une dernière alchimie avant les grands bouleversements que ces âges déterminent. Dans la scène suivant l’ellipse chez Kechiche, Adèle habite chez Emma tandis que chez Ozon, Isabelle s’engouffre dans les couloirs d’un hôtel dans lequel elle s’apprête à effectuer une passe habituelle. Kechiche utilisait de grands trous de plusieurs années quand les ellipses sont saisonnières chez Ozon. Souvenons-nous qu’Ozon a par ailleurs jadis déjà élaboré son (plus beau) film en jouant de cette thématique séquentielle Une partie / Un moment de vie. C’était le conceptuel 5×2.

C’est le récit d’une transformation au sein d’une souche familiale, comme souvent c’est le cas chez Ozon. Le portrait d’une fille qui devient femme en prenant une bifurcation aux conventions inculquées par son environnement familial. Pourtant, de ces fameuses conventions, la famille en est déjà porteuse d’une déroute et le film s’amuse à triturer cela dans chaque séquence qu’ils ont en commun, où il s’agit de surprendre quelqu’un (on ne compte pas le nombre de scènes construites là-dessus) et de dévier imperceptiblement des trajectoires (le beau-père qui se rapproche anormalement de sa belle-fille alors qu’il est au courant de son secret ; Isabelle qui surprend sa mère en plein flirt suggestif avec leur meilleur ami).

C’était Mia Hansen-Love qui avait aussi superbement traité la fragilité du cocon familial dans Tout est pardonné, dans ses autres films aussi cela dit, mais plus encore ici où un père se droguait et détruisait son foyer. Ici c’est une fille qui fait la pute. Dans chaque cas, secret ou non, tout s’ébranle. Marine Vacth véritable révélation est un personnage opaque jusqu’au bout, dont on ne saura jamais vraiment les grandes motivations. Jeune et jolie est un beau film sur une libération adolescente bouleversée et sur l’éclatement à petit feu d’une cellule familiale bourgeoise qui ne soupçonne rien et pouvait tout envisager sauf ça.
JanosValuska
7
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le 4 janv. 2015

Critique lue 360 fois

JanosValuska

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