Le panache de François Truffaut sonne la fin des cours du verbe Stévenin. Dring !

Dans la veine des « 400 coups », un début prometteur. Le vent de liberté est de mise avec ce générique d’introduction calqué sur la fraîcheur des enfants qui sont heureux de partir en vacances.


Tout est au diapason sur ces cinq premières minutes, la musique de Maurice Jaubert (fidèle collaborateur de Jean Vigo et Marcel Carné, il peut remercier Jean Renoir, pour « Nana », de l’avoir lancé !) ne prenant jamais le contre-pied de la réalisation. L’on est ainsi invité à ce vent de liberté, de fraîcheur et de lâcher-prise avec tous ces gamins qui courent dans tous les escaliers de la ville, François Truffaut prenant soin d’embaumer sa réalisation par un envoûtement général dès les premières minutes du film -grâce à une photographie des plus léchées de Pierre-William Glenn, le chef opérateur de tous les projets des 70’s et 80’s : « Etat de siège », « Que la fête commence », « La menace », « La mort en direct », « Coup de torchon », … pour ne citer que ceux-là !


Mais dix-sept ans après « Les 400 coups », et après cette honorable relance, le réalisateur de « L’enfant sauvage » exclut ce qui l’avait fait vedette : son écriture filmique. Qu’il ne retrouvera finalement que dans les 80’s avec « Le dernier métro » et son film testament, « Vivement dimanche ».
Oui, en ayant approché l’univers de François Truffaut, je peux dire qu’avec son « Argent de poche », il perd de sa verve. Pour trois raisons.


La première ? Absence totale de scénario. On rebondit de saynètes en saynètes n’ayant aucun rapport les unes avec les autres. Non pas que les gamins jouent mal, non, bien au contraire, ils sont même très bien dirigés à l’instar du regretté Jean-François Stévenin (qui trouve ici le tremplin pour sa carrière internationale : « Une chambre en ville » de Demy, « Le pacte des loups »… et doublera même Tommy Lee Jones pour « Dans la brume électrique ») qui se fait ici professeur des écoles et de la vie, mais la vie de tous les jours que filme l’ancien critique des « Cahiers du cinéma » ne trouve pas la liberté de ton fracassant tel le début l’avait promis. L’on navigue ainsi à vue, à droite, à gauche, sans trouver l’équilibre parfait qui avait jalonné ses « Jules et Jim » et « Tirez sur le pianiste » pour ne citer que ceux là. Oui, j’ai été déçu par cette façon de nous présenter autant de personnages. Dommage pour Stévenin qui campe un instituteur courage et dirige une troupe de cabotins en or.


La deuxième raison ? Sa mise en scène appliquée, parfois trop. Oui, elle a fait chez lui ses lettres de noblesse (« Jules et Jim », « La mariée était en noire », « La femme d’à côté ») mais je n’ai pas compris dans quoi l’acteur pour Spielberg dans « Rencontres du troisième type » voulait m’embarquer. Dans la vie des gamins du quartier ? J’en suis sorti bredouille, ne sachant pas qui était qui, d’où sortait cette scène avec le petit Grégory qui n’apporte à proprement parler rien au film, mais surtout, que François Truffaut le réalisateur se laisse aller au gré des interprétations des gamins.
Oui, il a réalisé « Les 400 coups » qui est devenu son chef d’œuvre, ça on ne pas le renier, oui, il a écrit « A bout de souffle » qui a également lancé la Nouvelle Vague, lui, l’écrivain érudit, mais on est ici avec « L’argent de poche » qui n’a pour ainsi dire pas vraiment d’arguments en termes de mise en scène. J’ai trouvé que le césarisé du meilleur film français de l’année pour « Le dernier métro » s’est ici effacé pour galvaniser toute son équipe. Pour une fois, mauvaise pioche !, François.


Ma troisième raison découle de la première et de la deuxième. Qui dit pas de scénario, peut éventuellement dire belle mise en scène. Mais ici, pas de scénario et pas de mise en scène. Et donc pas d’écriture filmique. François Truffaut m’avait habitué à parachever à chaque fois sa mise en scène par une embaumisation du contexte d’époque et de la vie de tous les jours.
Qui ne se souvient pas du « Tourbillon de la vie » de Jeanne Moreau ?
Et également de cette « Mariée qui était en noire » qui assassine ?
Voir même un Depardieu à fleur de peau (« Le dernier métro ») ?
Une réalisation beaucoup trop brouillonne à mon goût, surtout lorsqu’il s’agit d’un film d’auteur pourtant dotée d’une belle image (encore merci Monsieur Glenn !).
Dommage, l’oscarisé du meilleur film étranger pour « La nuit américaine » n’a pas habillé « L’argent de poche » avec panache, goût et émerveillement. Sauf pour la seule scène de classe avec les gamins qui sortent les armes de leurs cartables qui parvient à nous arracher un sourire. Heureusement !


Le réalisateur de « Domicile conjugal » concède néanmoins, et avec malice, une chronique sociale de l’enfance dans l’ère du temps (les 70’s) qui ne résonne plus aujourd’hui.
Chronique emmenée malgré tout par une troupe d’enfants au diapason. Merci à eux !


« L’argent de poche » (1976) est un « 400 coups » un peu chiche de François Truffaut pour son quinzième long-métrage.


Avis aux universels truffautiens.

brunodinah
6
Écrit par

Créée

le 24 août 2021

Critique lue 104 fois

1 j'aime

2 commentaires

brunodinah

Écrit par

Critique lue 104 fois

1
2

D'autres avis sur L'Argent de poche

L'Argent de poche
JanosValuska
10

La vie sauvage.

Truffaut aura tellement parlé de l’enfance à travers ses films, et de manière chaque fois très différente, que chacun pourra y trouver sa préférence, ici ou là, à travers Les mistons ou Les...

le 15 nov. 2019

10 j'aime

L'Argent de poche
Weston-Big-Mac
7

Nous les gosses

Tourné à Thiers durant l'été 1975, L'Argent de poche est un film au style naturaliste avec beaucoup d'enfants acteurs le temps d'un seul film, on y suit leurs joies ainsi que leurs tribulations.De...

le 12 avr. 2024

9 j'aime

L'Argent de poche
EricDebarnot
7

Lo-fi

"L'Argent de Poche" est un film à part dans la filmographie du regretté François Truffaut, comme une version outrageusement lo-fi de ses fameux "400 coups", dont il prolonge l'exploration des...

le 3 juin 2014

9 j'aime

Du même critique

Point Break - Extrême limite
brunodinah
8

Un bijou du film d'action des 90's blockbusterisé par Bigelow avec Reeves-Swayze. Surfin' USA !

Avant de m’immiscer dans l’univers de « Point Break », j’ai décidé de me pencher un peu plus sur l’acteur qui a toujours surfé sur la vague durant les 90’s (que ce soit avec Van Sant sur « My own...

le 14 déc. 2023

5 j'aime

2

La Belle et le Clochard
brunodinah
8

Pour le 7e art, W. Disney ancre avec brio une nuit légendaire entre deux chiens. Mythique. Rêvons...

En sortant de mon visionnage, j’ai eu envie de crier : « Waouh ! ». En effet, il s’agit bien d’un coup de cœur. Ou quand le septième art déballe ses effets et nous emballe. J’ai l’impression de...

le 22 avr. 2022

5 j'aime

3

La Mort aux trousses
brunodinah
8

Classique hitchcockien. Thriller obsessionnel, suspense troublant. Espion, 'la mort nous va si bien'

Il m’est aujourd’hui difficile de poser et de peser mes mots sur « La Mort aux trousses ». Je l’ai découvert lorsque j’étais adolescent, et c’est vrai, les films que l’on découvre tôt sont...

le 27 nov. 2021

5 j'aime

3