En son temps, Clouzot fut très mal perçu. La faute, évidemment, au fait que le bonhomme tourna en étroite collaboration avec la Continental, maison de production collabo dirigée de près par le gouvernement nazi de la 2nde guerre mondiale. Qui plus est, sa relation avec Suzy Delair, qui ne cachait pas alors ses sentiments pro-allemands, n'arrangeait pas vraiment les choses, et surtout, son film Le corbeau, accusé de tous les maux par tous les bords tant celui ci dérangea une France alors fragile et délationniste.

Bref, quoiqu'il en fut, Clouzot fut banni des caméras à la sortie de la guerre, jusqu'à son grand retour avec Manon, en 49, Lion d'or à Venise, mais surtout Le salaire de la peur en 53, même s'il fut dialoguiste sur Quai des Orfèvres en 47.

Voir rétrospectivement L'assassin habite au 21 70 ans après sa réalisation est assez intéressant, tant il contient des choses qui reviendront chez le réalisateur, mais des choses aussi bien plus légères que les films qui lui succéderont.

En effet, L'assassin habite au 21 est avant tout une comédie policière drôle et enlevée, et surtout menée à un train d'enfer. Les prémisses sont simples : un tueur en série, signant ses méfaits d'une carte de visite au nom de Monsieur Durand, sévit dans Paris. Toute la chaîne hiérarchique de la police est donc, évidemment, menacée de sauter devant tant d'incapacité à arrêter le malfrat. Heureusement, notre malin héros (Fresney), ainsi que sa compagne branchée sur du 220V (Delair), vont mener l'enquête dans une auberge où, d'après un indic de notre héros, se tapirait le tueur...

S'en suit un nombre incalculable de piques, de blagues plus ou moins cyniques, de déguisements et retournements en tout genre où Fresney, stoïque mais piquant, vole la vedette à une troupe d'acteurs pourtant pas en reste. Ce qui surprend encore aujourd'hui, c'est la maîtrise d'un rythme sans aucun temps mort, d'une écriture qui fait mouche quasiment à tous les coups avec une facilité désuète, malgré Suzy Delair qui, si elle est rafraîchissante et dotée d'un personnage pas forcément désagréable, pourra gentiment taper sur les nerfs tant sa Mila Malou fait un peu héroïne type : un peu co-conne, tour à tour chiante et adorable, et surtout alternativement maligne et à la ramasse.

Reste un film où l'on pourra, comme certains l'ont fait pendant 60 ans, trouver des dizaines de parallèles entre Clouzot accusé de collaboration ("oh, regardez, à la fin du film, le personnage reste le bras en l'air comme s'il faisait un salut nazi !"), le cinéma sous l'Occupation ("oh regardez, l'écrivain se fait tuer avant d'avoir pu écrire une ligne car ça aurait démasqué le tueur, c'est une métaphore de Clouzot qui était pied et poing liés !"), mais aussi regarder sans aucune arrière pensée, sauf celle du divertissement familial rondement mené.
Remy_Pignatiell
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le 20 oct. 2013

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