Le film s'ouvre comme un film de Jeunet : des décors d'intérieur soignés qui fourmillent de mille et un détails, une lumière intimiste, une musique vaguement nostalgique à l'accordéon et un personnage singulier que l'on sent un peu à part. L'ambiance s'installe et elle promet le meilleur, la révélation d'un monde situé sous la surface des choses...


Elisa est employée de ménage dans un laboratoire gouvernemental américain qui se livre à des expériences absconses. Aux côtés d'une armée de consœurs, elle nettoie quotidiennement d'interminables couloirs et des pièces où se déroulent les activités de ces messieurs les savants. Les rôles sont déjà bien définis dans cette Amérique des années 50. Depuis le travail jusqu'au sein du couple, la hiérarchie patriarcale domine. Il en est de même pour la ségrégation raciale. Les noirs américains ne peuvent s’asseoir dans les restaurants rapides aux côtés des blancs. Et ces braves américains font de surcroît la guerre, froide, aux russes. La domination et la haine comme cheval de bataille. En quelques scènes judicieusement choisies, Guillermo del Toro brosse un portrait de cette époque avec une précision clinique. C'est dans ce monde un peu paranoïaque que cette modeste employée, muette de son état, tente de trouver sa place. Sa vie est parfaitement réglée dans ses moindres détails, y compris intimes. Mais lorsqu'une créature inconnue arrive dans un laboratoire, un étrange relation se noue sous le signe de la compréhension...


Servie par une brochette d'interprètes vraiment excellents, cette oeuvre se révèle extrêmement soignée. Si Sally Hawkins apporte une fraîcheur candide, Michaël Shannon incarne à la perfection le mâle dominant biblique qui arase tout se qui se dresse sur son chemin, depuis la créature, ses subalternes et son épouse. La créature est à cet égard parfaitement réussie, sans effets spéciaux outranciers mais tout en nuances. Le récit oscille entre scènes magnifiques et moments de tension, nerveuse ou physique. Les images sont belles, la photographie léchée, le cadrage maîtrisé.


Enchantement pour les yeux, le film s'adresse néanmoins davantage à l'intellect qu'au sentiments. Si tout m'a semblé parfaitement cadré, il a manqué ce petit supplément d'âme qui en aurait fait un chef d'oeuvre. Tout comme la beauté clinique globale de l'oeuvre, les scènes entre Elisa et la créature aquatique manquent de chaleur et d'empathie en direction du spectateur. Si l'eau perle sur les vitres de son appartement, elle ne le fait pas au coin de nos yeux. C'est dommage car l'émotion n'était pas loin, petite bulle qui ne demandait qu'à éclater à la surface.

Apostille
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le 10 mars 2018

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