Les adaptations ratées, on connaît. Les bonnes, aussi. D’autres abandonnées, ça existe. Parfois – bien que rarement – on a même droit à des adaptations meilleures que leur média d’origine. Mais de fausses adaptations, ça s’est déjà fait ? Ici on en tient en tout cas un bon challenger.
Passe la couleur de peau du pistolero et la polémique qu’elle a pu provoquer, s’ils ont décidé de supprimer Susannah et la haine de son doppelgänger raciste, ça peut tenir la route. Mais si l’on ne s’arrête pas à ces points de détail, et que l’on s’intéresse au plus concret, comment estimer la seule possibilité de concentrer 3500 pages de roman en 1h35 de film, sans même prévoir de suite ? C’est juste impossible. Le résultat en est qu’il n’y a absolument plus rien à voir avec l’œuvre originale.
À l’extrême limite ce genre d’écart peut encore passer, tant que les clés et les enjeux principaux de l’œuvre demeurent. Ce qui n’est même pas le cas. Si on entend clairement la phrase d’ouverture du pavé kingien (mais si vous savez… « L’homme en noir fuyait à travers le désert, et le pistolero le suivait »), elle ne sert qu’à accoler le nom de l’œuvre de l’auteur à un film générique auquel ne manquait qu’un titre racoleur. À aucun moment ne pointe la moindre idée d’une quête ou d’une fuite de Walter Padick, ce dernier naviguant au gré de ses envies entre deux mondes entre lesquels on voyage par le biais d’un délire SF de portails interdimensionnels totalement absurde (désolé mais dans la saga de King les portails restent dans le ton fantasy). Roland ne cherche même pas la Tour sombre pour sauver un monde censé être en perdition, mais n’est poussé que par un ardent désir de vengeance, qui change drastiquement son caractère pour le réduire à un pauvre caractériel indigne de son rang.
Et si seulement l’intrigue se concentrait alors sur l’évolution de ce personnage, mais à la place on a Jake Chambers, qui devient un gamin à problèmes avec des visions (l’indignation est à son comble dès le moment où l’on entend l’expression « shining », histoire d’en rajouter une couche de manque d’imagination), qui ne trouve en Roland non pas un père spirituel mais juste un tuteur, dans toute la splendeur du côté badass et faussement noble qu’on veut lui donner. L’homme en noir n’est pas mieux loti, son côté sombre et mystérieux ne fonctionne pas et ses pouvoirs outrepassent l’habileté psychologique qu’il est censé avoir. Bien entendu, Roland et Jake résistent à ses pouvoirs, sans qu’il ne nous soit expliqué pourquoi (ah si, le shining… arrêtez de prendre les spectateurs pour des cons sérieusement), car après tout il faut bien des élus. De toute manière, à part le jeune homme, aucun background ne se développe, et aucune intensité ne ressort de leurs péripéties et des deux ou trois scènes d’actions au design franchement laid.
Dans cette débauche de lieux communs sans profondeur ni nouveauté, pas un seul plan ne fonctionne ni la moindre réplique ne fait mouche, à part peut-être la manière dont le pistolero recharge ses revolvers d’un côté (armes censées être marquantes, mais totalement banales), et on se rattache tout juste à la maxime des pistoleros, qui demeure bien trop longue pour être incisive ou pour qu’on s’en souvienne facilement (rappelons que dans le roman c'est essentiellement une leçon, et dans le feu de l'action elle y est beaucoup mieux servie). C’est filmé en champs-contrechamps ou en travellings fades et les scènes d’action remuent en shaky-cams éprouvants (même si l’on parvient à comprendre plus ou moins ce qui se passe) et s’enchaînent en un montage abominablement clipesque (et encore, la durée des plans est là deux fois plus longue que le reste du temps). Les personnages baratinent à répéter les mêmes choses à longueur de temps sans lien cause-conséquence entre les actions (on aime bien parler de la tour sombre pour te rappeler ce que tu regardes à tout bout de champ) et ratiocinent sur l’utilité de leurs pouvoirs, leur confrontation ou les liens les unissant, au point que comme tout le reste ça en devient très vite insupportable.
Stephen King n’est pas un auteur de tout-venant que l’on adapte comme ça en un produit hollywoodien. Mais tant que ça peut potentiellement générer du fric, visiblement on s’en foutra toujours.