« Nous sommes tous facilement explicables mais nous restons inextricables »

Huis-clos de Polanski tourné dans le théâtre Récamier à Paris, La Vénus à la fourrure repose sur la confrontation en temps réel de Vanda Jourdain (Seigner – épouse de Polanski, entrée chez lui avec ses rôles sensuels dans Frantic et Lunes de fiel) et Thomas Novacek (Amalric). La première est actrice, le second est un auteur s'essayant à la mise en scène et cherchant quelqu'une à la hauteur du rôle principal. Prestigieux homme de théâtre, c'est aussi un relatif vieux con, dont les diatribes et autres vomis venus du cœur sont parsemés d'accents misogynes. Elle, c'est la fille de 40 ans parlant le 'jeune d'aujourd'hui', révélation insoupçonnable tant on la présente en abusant dans le genre grotesque (« vous avez lu le bouquin en VO » va loin dans le sarcasme socio-culturel de has been post-moderne complexé).


À la base se trouve une pièce éponyme (de David Ives, première en 2010), elle-même tirée du roman La Vénus à la fourrure. Cette autobiographie romancée (1870) de Leopold von Sascher-Masoch a donné son nom au masochisme. Le film joue sur la confusion entre la pièce et la réalité des deux personnages, à laquelle s'ajoute une analyse sur le vif et un symbolisme explicite mettant sous tension (jusqu'à la réappropriation de la fin tragique de Penthée dans Les Bacchantes). Pendant la répétition, la postulante s'avère géniale et obsède le metteur en scène. Ultra vulgaire, débridée et tapageuse, elle est tout ce qu'il devrait mépriser ; cela ne manque pas au départ mais, bien qu'il la repousse effectivement, il le fait de façon trop fluette ou indécise puisque celle-ci arrivera bien à lancer la répétition – et alors à le posséder, comme s'il trouvait là l'objet tant désiré. Conformément à sa mythologie et celle de Masoch imbriquées, la maîtresse de la situation est aussi une espèce d'épouvantail adulé.


C'est au moins un divertissement efficace et spirituel, où Polanski réaffirme son originalité profonde après des opus plus conformes ou indifférenciés (tout en étant parfois très bons, comme The Ghost Writer). Polanski réfléchit ses propres démons et le film fonctionne en échos. Il semble dérouler les confessions de trois hommes (le cinéaste, le personnage et son auteur, Von Masoch la source) à divers degrés. Pour Polanski, c'est aussi une façon de nuancer sa misogynie déclarée au travers de Carnage. Malgré certaines facilités apparentes et quelques lourdeurs (liées surtout à Emmanuelle Seigner - à la performance jubilatoire), la séance captive grâce à sa richesse et sa cohérence. Les aspects les plus vicieux peuvent instiller le doute mais n'entament rien de l'énergie du film, écrit et calculé avec un brio impérial (dès la première conversation, Amalric glisse qu'il jouerait aussi bien les dames que toutes ces pouffiasses juvéniles venues à l'audition). Quels que soient les sentiments éprouvés envers le tandem de monstres à peine refoulés, on tient un film apte à passionner les boulimiques en programmes cathartiques - et les experts en détricotages éventuellement.


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Zogarok

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