Difficile d’atteindre un degré de Feelgood qui puisse égaler ce Frank Capra, à tel point qu’il n’est pas étonnant que ce genre soit si délaissé. On suit ici l’antithèse du héros américain moderne, un homme simple et honnête qui va devoir abandonner ses rêves de grandeur pour trouver sa place dans la société.


Si James Stewart et son personnage sont inoubliables, dans une histoire chargée du rêve américain, on touche ici à une innocence magnifique qui frôle souvent la naïveté tant il semble impossible aujourd’hui de reproduire pareil métrage.


La communauté avant tout :


Le film est avant tout celui d’une communauté que le cinéma américain sait faire vivre comme nul autre. Si on parle d’évasion, si on fait miroiter New York à plusieurs reprises, comme un doux rêve, ni George ni le spectateur ne quitteront jamais Bedford Falls. La galerie de personnages présentés petit à petit est à ce titre intéressante, tout l’enjeu du film étant de montrer leurs interactions, avec George héros malgré lui en point névralgique.


Dans tout autre film, Harry serait le héros, aux manettes de son avion pendant la guerre. En se se mettant en retrait tout au long de sa vie, George est l’homme derrière le rêve américain. Sans son sacrifice, pas de success story : ni celle du frère héros de guerre, ni celle de l’ami riche industriel, ni plus largement de toute la communauté qui profite dans son sillage. Et c’est ce choix initial de focale qui permet non pas de raconter l’histoire d’un seul homme, si généreux soit il, mais de capter l’humanité des individus qui, ensemble construisent cette communauté, et plus largement, l’Amérique fantasmée.


Car nous parlons évidemment ici de fantasme. Si l’on décroche une seconde de l’aura incroyable de James Stewart, si l’on n’accroche pas aux caractères de la fable dès le départ, alors je comprends les critiques qui annoncent plus de deux heures de niaiserie.
Qui plus est, il sera d’autant plus difficile d’accepter les facilités avec lesquelles la communauté se sort des crises majeures.


La fable contre la détresse économique :


Étonnante critique que celle du capitalisme, dès 1946 dans ce film aux allures de conte pour (grands) enfants, où le méchant est un propriétaire terrien solitaire et affamé, auquel va être opposé l’économie des sphères intimes et modestes : la communauté et la famille.


Bien sur le crack de 29 est passé par là, mais à l’exact moment où se démocratise à l’étranger la propagande du rêve américain passé au filtre hollywoodien, il est audacieux de se lancer dans une idéologie plus communautariste. Capra n’est pas coco mais les écrivains derrière cette « wonderful life » vivront des jours sombres pendant le maccarthysme.


Peu de mots, mais un désarroi visible, et des scènes marquantes, comme cet échec devant l’ennemi historique qui ne perd pas une occasion de briser son prochain sans affect. Finalement, la sentence de l’homme acculé : « Je vaut plus mort que vivant » achève avec puissance la descente aux enfers de notre homme providentiel.


Un personnage qui renonce à tout


La vie n’est pas si belle : Les années passent et la bonne gouaille de notre héros, sa sincérité le forcent à se contenter d’une vie simple dans sa communauté. Pourtant, son amour de jeunesse dans les bras, leurs enfants et la quarantaine passée, il reste une amertume timide d’être passé à coté de ses rêves. George n’a pas fait de grandes choses, n’a pas voyagé ni changé le monde.


Pourtant, sa dévotion pour l’oeuvre de son père, transposable sur la communauté lui fait oublier que le temps passe. A t’il encore en tête ses envies d’ailleurs ? Les garde t’il pour plus tard ? Quand on lui propose l’argent, et tout ce qu’il a toujours voulu avec, ses yeux brillent pourtant un temps avant de décliner avec véhémence le pacte avec le diable.


Certains en ont fait un homme qui échoue, renonce facilement. Mais ne paraît-il d’autant pas plus héroïque ce chemin de croix de l’homme simple, qui fait briller les autres ?


Une fin aussi rushée que magnifique :


Mon visionnage est tardif et pollué par de nombreux métrages plus qu’inspirés par ce classique. À ce titre, j’ai légèrement décroché avec l’apparition de l’ange et le choix de la vision alternative. Un peu trop rushée à mon sens, malgré de magnifiques déambulations dans ce Potterville glauque et sombre, critique supplémentaire d’un monde non uni où l’humain serait perdant. Mais je ne peux bouder mon plaisir devant cet étalage rapide mais pertinent des conséquences de l’absence de George sur sa communauté : l’illustration du rôle de chaque individu est parfaite.


La scène finale est si outrancière dans son dégueulis de bons sentiments qu’elle est une parfaite conclusion à ce film étrangement choral. On ne peut pas rester indifférent devant une réussite aussi totale, une utopie réalisée. Les larmes montent à la redécouverte de l’acquis, alors que les rêves ne sont plus qu’un lointain souvenir, une autre vie.

Jb_tolsa
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le 19 avr. 2020

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Jb_tolsa

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