Laurence Anyways est un film aussi déterminé que son protagoniste principal, un film qui n’a pas peur de se couvrir de filtres de couleur et de plages musicales enivrantes pour avancer du long de ses deux heures quarante minutes et afficher sa différence, son droit fondamental à la différence.
Xavier Dolan ne se refuse rien, mais ce faisant, il sacrifie son sujet sur l’autel de la fièvre et de la fougue artistique ; et si nous percevons bien l’entrelacs des tons dans le temps, ce mélange d’amour-passion et de haine qui animent les personnages, notamment Fred, la recherche d’une forme finit par triompher du traitement accordé au fond. C’est surtout le montage du film qui est en cause : certaines séquences se répètent inutilement ou ne semblent obéir qu’aux exigences du clip musical avec ralentis à outrance, gros plans et mouvements de caméra sophistiqués.
Pourtant, l’embarras occasionné par la virtuosité formelle ne doit pas laisser de côté les moments de grâce durant lesquels le long métrage atteint des sommets de justesse : il s’agit par exemple des dialogues entre Laurence et Fred, avec l’explosion de cette dernière en plein restaurant – une des scènes les plus belles et les plus fortes jamais réalisées par le cinéaste –, des envolées poétiques dans la neige ou sous les feuilles, de cette main tendue vers celui que l’on a frappé en raison de sa différence.
Laurence Anyways souffre de lourdeurs, se revendique d’une esthétique de la copia, caricature volontiers l’enseignement de la philosophie au cours de sa première partie, mais travaille au corps un sujet délicat et difficile avec brio. Et quel corps ! Melvil Poupaud tient là l’un de ses meilleurs rôles. Face à lui, Suzanne Clément irradie toutes les scènes dans lesquelles elle joue. Leur duo est magnifique. Un film important.