Film clé dans la filmographie de Sergio Leone, "Le Bon, la Brute et le Truand" marque son passage du statut de réalisateur de westerns spaghetti populaires - considérés à l'époque avec pas mal de mépris par la critique - vers une forme de super-auteurisme : car si tous les codes d'un genre qu'il a contribué à inventer sont encore là, et en particulier une violence sadique qui était assez inédite à l'époque et une trivialité que l'on peut juger complaisante, Leone élève son film par la grâce de sa mise en scène élégiaque, par la magie des thèmes musicaux d'un Morricone ayant atteint une parfaite maîtrise de son art, et par la profondeur des multiples sujets abordés dans un scénario qui pratique avec brio le mélange de genres.


Valse des étiquettes (le fameux titre emblématique, qui constitue un programme décalé par rapport au scénario du film) qui ne signifient rien et des déguisements trahissant la futilité des faux-semblants, critique forcenée de la guerre et du chaos absurde qu'est la vie humaine, "le Bon, la Brute et le Truand" est sans doute le film le plus pessimiste de son auteur (avec "Il était une fois la Révolution", moins réussi, qui lui ressemble beaucoup), il n'en demeure pas moins le plus réjouissant si l'on se contente de le regarder au premier degré. Il faut d'ailleurs souligner la performance d'Eli Wallach, créant ici contre toute attente un personnage très drôle, profondément ambigu et formidable d'humanité, transcendant la caricature bouffonne qui lui sert de point de départ.


A force de le voir et de le revoir, il faut toutefois reconnaître que la première partie du film perd à chaque nouveau visionnage un peu de son intérêt, ressassant largement - avec bien plus de brio - les idées des deux films précédents. La seconde partie, disons à partir de la rencontre avec le secret de l'or à la sortie du désert, et du partage de la clé de l'énigme, est une succession ininterrompue de scènes fortes, culminant dans une dernière demi-heure alternant pics d'émotions et paroxysmes lyriques : quel que soit l'effet inévitable de l'usure du temps, comment (et pourquoi ?) retenir ses larmes de bonheur devant le célébrissime "duel triangulaire" ? Finalement, "le Bon, la Brute et le Truand" nous laissera toujours éblouis.


[Critique composée en 2020, à partir de notes prises lors de mes nombreux visionnages du film, et intégrant aussi certains commentaires lus à l'époque de sa sortie initiale en salles...]

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le 28 oct. 2014

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Eric BBYoda

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