Que dire à propos du Bon, la Brute et le Truand ? Je pourrais vous parler de la sublime musique d'Ennio Morricone, des paysages magnifiques, de la gestion de l'espace selon Sergio Leone. Mais je n'ai pas envie. Tout a déjà été dit à ce sujet. Alors, plutôt que d'évoquer Clint Eastwood et son cigare, Lee Van Cleef et sa pipe, ou Eli Wallach et ses jambières en cuir, je voudrais me pencher un peu sur le cas des seconds rôles. Il y a bien sûr les excellents Luigi Pistilli et Aldo Giuffrè, mais surtout, SURTOUT, il y a ce putain de magnifique acteur complètement méconnu et qui, bien qu'apparaissant tout au long du film, n'est même pas crédité au générique (et que, faute de mieux, nous appellerons donc Toto).
Le western selon Sergio Leone rompt avec la tradition américaine du héros propre sur lui. Le western selon Sergio Leone, ce sont de longs cache-poussières parce que quand on passe sa journée en selle, on en bouffe de la poussière. Le western selon Sergio Leone, ce sont des mecs mal rasés, pas lavés, dégoulinants de sueur... sur des chevaux impeccables, à la robe luisante et immaculée.
Mais laissez-moi vous parler de Toto.
Toto est cette créature magnifique, cet acteur extraordinaire, qui incarne à la fois la monture de Tuco et celle d'Angel-Eyes / Sentenza (raison pour laquelle on ne voit jamais Wallach et Van Cleef à cheval ensemble). Toto a une véritable présence à l'écran, et habite le film depuis son entrée en scène avec Lee Van Cleef jusqu'à la scène finale. Toto est partout. Toto caracole, Toto s'amuse, Toto cabotine. Il faut le voir dans le désert, faire des mimiques dans le dos de Tuco pendant que ce dernier tourmente Blondin : il rajoute à la dimension comique de la scène. Mais Toto sait aussi être sérieux et s'effacer quand il le faut. Car Toto est un professionnel, comme le prouve sa très bonne prestation dans la scène finale, où il est à la fois discret et efficace, et qu'il ponctue d'une très jolie courbette.
Mais surtout, Toto est BEAU. Bordel, qu'il est beau ! Robe noire et luisante reflétant le soleil éblouissant, crinière ondoyante que l'on devine soyeuse, profil aristocratique et démarche élégante : Toto est grand, Toto est magnifique.
Alors du coup, ça le fout un peu mal dans un western. Pour ceux qui l'ignoreraient, le mustang est un cheval plutôt trapu, à la robe souvent pie, bâti pour l'endurance, mais pas spécialement beau. Et petit. Dans les westerns américains, on a l'impression que les cavaliers sont immenses par rapport aux chevaux. En fait, ce sont juste leurs chevaux qui sont petits. Alors quand on voit Toto arriver, tête haute, membres fins, classe naturelle et parfaite assurance, on n'y croit pas une seconde. On reconnait le cheval de cirque (le cinéma fut pour Toto une vocation tardive). ET ON S'EN FOUT ROYALEMENT !
Parce que cet animal, c'est un régal pour les yeux. L'incarnation de la perfection équine. Il n'y a pas un bout de lui qu'on voudrait changer. On l'aime.
Et en plus, Toto est (ou était, car il est hélas probablement décédé depuis) un animal super sympa : c'est pour cela qu'il a été attribué à Wallach et Van Cleef, qui ne savaient pas monter à cheval. Van Cleef avait même peur des chevaux (ce qui, au passage, est un peu la lose pour un acteur habitué des westerns !). Clint Eastwood, le seul du trio qui savait monter à cheval, a écopé d'un canasson plus commun... mais il finit quand même le film sur Toto, quand Blondin, après avoir tué Sentenza, s'approprie son cheval. Et je dis tant mieux, parce qu'on ne voit jamais assez de Toto ! Cet animal est une ode au concept même de cheval : quand on pense "cheval", au fond de nous on pense "Toto".
Je pourrais continuer longtemps à vous vanter les mérites de Toto, mais je crains de lasser mes lecteurs (ou du moins, ceux qui n'auraient pas déjà abandonné depuis longtemps). Je conclus donc ici cette critique qui n'en est pas vraiment une. Mais quand même, rendez-vous compte : un cheval qui est passé entre les jambes des trois acteurs principaux ET ON NE CONNAIT MÊME PAS SON NOM !