S’il a bientôt quatre-vingt-dix ans, Clint Eastwood a rarement été aussi prolifique. De retour devant la caméra l’année dernière dans le testamentaire La Mule, il reste cette fois derrière la caméra pour nous raconter Le Cas Richard Jewell, nouvelle exploration captivante de la figure du héros américain.


Les premières minutes du film nous font découvrir le personnage de Richard Jewell. D’abord commis aux fournitures dans un bureau d’avocats, il souhaite avant tout mener une carrière dans les forces de l’ordre, pour faire respecter « la loi et l’ordre » et « protéger son prochain ». Solitaire, l’homme aime les armes, que ce soit en jouant à une borne d’arcade, en se testant au stand de tir ou, simplement, en les collectionnant dans sa chambre. Vivant toujours chez sa mère, brave et volontaire, il a des airs de grand enfant aux rêves aussi modestes que sincères. C’est, cependant, dans sa confrontation face au monde, aux institutions qu’il respectait alors, qui va le conduire à la déchéance, autant que lui offrir l’opportunité de s’exprimer, d’ouvrir les yeux et, quelque part, de s’accomplir.


L’histoire de Richard Jewell, agent de sécurité qui repéra une bombe et évita un massacre lors des jeux d’Atlanta en 1996, n’est pas sans rappeler celle de Sully Sullenberger, également adaptée au cinéma par Clint Eastwood dans Sully (2016). Nous y retrouvons deux héros ordinaires, ayant agi par instinct et sauvé de nombreuses vies, qui doivent faire face au jugement et à la reconsidération de leurs actes. Le Cas Richard Jewell offre cependant une perspective différente de celle de Sully, se bâtissant sur la poursuite d’un idéal, où le héros semble incarner un certain visage de l’Amérique populaire, avec ses aspirations mais, surtout, des repères qui s’effritent.


A peine l’acte de bravoure réalisé, que le monde s’en empare et se l’approprie. Seul détenteur de la vérité, avec le spectateur ici convié par Clint Eastwood, Richard Jewell doit cependant composer avec la recherche du coupable idéal, et cette démarche d’écriture et de réécriture de l’histoire, opérant souvent dans l’instantané, voire dans la précipitation. Les mécanismes ici exposés, basés, notamment, sur une déformation de la vérité pour faire les gros titres, n’est pas sans rappeler Le Gouffre aux Chimères (1951) de Billy Wilder. Ici, c’est d’ailleurs surtout le personnage de l’agent Shaw qui fait écho à celui de Chuck Tatum dans le film de Wilder, dans cette propension à manipuler la réalité pour la tourner à son avantage, plus que celui de la journaliste Kathy Scruggs, incarnée par Olivia Wilde.


On voit donc ici clairement une dénonciation de la société du buzz, de l’appropriation de l’événement dès qu’il est découvert, la primeur étant le Saint Graal, et la vérité, accessoire. Cependant, c’est aussi et même, surtout, un film qui établit un portrait, s’intéressant à la manière dont Richard Jewell et son entourage ont vécu cette affaire. Clint Eastwood ne s’intéresse pas qu’aux manipulations des média et du FBI, il décrit un homme touchant par sa bonhomie, sa bravoure et son honnêteté manifeste, qui devient, vue de l’extérieure, sujette aux doutes. Le héros n’en est pas un, juste un homme comme un autre, qui incarne certaines valeurs d’une certaine Amérique d’aujourd’hui. Il veut trouver sa place dans la société, œuvrer pour le bien des autres tout en se prouvant à lui et aux autres, il est convaincu que se dédier au maintien de l’ordre et de la loi est essentiel pour maintenir l’équilibre dans la société et l’empêcher de sombrer dans le chaos.


Richard Jewell nous est attachant par sa personnalité, mais est inquiétant aux yeux des autres personnages, ceux-ci n’ayant que des faits passés et sans réel contexte comme base de jugement envers lui. Clint Eastwood oriente donc l’écriture de son histoire et de ses personnages dans cette confrontation de points de vue, qui paraît manichéenne à première vue, notamment à travers les personnages de la journaliste (parfois assez caricaturale) et des agents du FBI, suscitant l’indignation du spectateur. Toutefois, grâce, notamment, à une mise en scène très épurée, épargnant tout sentimentalisme, Clint Eastwood véhicule, certes, de l’empathie envers le personnage principal, mais il ne s’engage pas dans une adhésion complète à tous les idéaux qu’il peut prôner. C’est ce que l’on constate, notamment, lors de la perquisition du domicile des Jewell, lorsque les agents du FBI découvrent tout l’arsenal de Richard, posé sur son lit à la demande de son avocat. La scène fait rire, cette collection ressemblant à une véritable armurerie, et soulignant l’éternelle problématique de la possession des armes aux Etats-Unis. De même, la scène où l’avocat réprimande Richard, lequel manque de raconter des détails importants de sa vie, ou qu’il a fait des choses pouvant être compromettantes dans le cadre des accusations qui l’accablent, font penser à un professeur qui réprimande un élève, ou à un parent avec son enfant. C’est cette sorte d’inconscience qui est montrée par Eastwood.


Le constat et les rapports de force sont là, et le cinéaste se veut plus rapporteur que conteur, ne réécrivant pas (à l’inverse de la journaliste par exemple), ou le moins possible, évitant au maximum tout artifice qu’il pourrait incorporer, volontairement ou non, pour rester le plus fidèle possible à ce qui fut. Le réalisateur expose tout de même un point de vue, mais il se diffuse dans toute cette restitution des faits et cette histoire, laissant finalement le spectateur seul juge. C’est donc, derrière le jeu des médias et du FBI, un nouvel état des lieux de l’Amérique moderne que le cinéaste propose, par le prisme du héros ordinaire, nouvelle figure récurrente de sa filmographie. Si les acteurs qui nous sont familiers, comme Kathy Bates, Sam Rockwell et Jon Hamm, sont au rendez-vous, c’est bien Paul Walter Hauser, acteur méconnu, qui captive toute notre attention. Intense, poignant, il réalise une performance époustouflante et habitée, parvenant à émouvoir le spectateur et délivrant toute la puissance émotionnelle nécessaire au développement du personnage de Richard Jewell. Parfaitement dosé au niveau du rythme, on n’en perd pas une miette, restant captivés de bout en bout. S’il reste fidèle à son cinéma et à ses composantes récurrentes, Clint Eastwood continue de surprendre par la justesse avec laquelle il parvient à nous raconter des histoires.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

JKDZ29
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le 20 févr. 2020

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