Dans la plupart des versions filmiques, téléfilmiques et sérielles de Hercule Poirot, le détective était âgé, en quête d’une retraite paisible toujours interrompue par quelque crime sordide, et si potelé que sa seule force venait de ses cellules grises (dont il était fort fier). En interprétant le personnage après Finney, Ustinov et Suchet, le réalisateur Kenneth Branagh lui fait subir un petit lifting dans l’air du temps, conservant sa moustache grandiloquente au grotesque, mais lui conférant une minceur plus athlétique et une vivacité tant d’esprit que de corps… et une histoire d’amour évoquée au passé. Bref, Branagh s’efforce d’injecter une dose de pathos dans des histoires habituellement théâtrales, de ménager d’emblée une suite (à quoi bon sinon ces références totalement gratuites dans la dramaturgie du film à une histoire d’amour qui n’existe nulle part ailleurs ?), d’imposer son propre physique dans la culture populaire plutôt que d’assimiler celui de son personnage. On peut ainsi être surpris même sans être le plus ardent défenseur de la « fidélité à la source » de la place prise par le réalisateur-acteur dans un processus d’adaptation.
Surtout quand l’action permise par la forme de Poirot se limite à monter sur un train sans trop de raison et à l’addition d’une course-poursuite au moins aussi arbitraire. Le rajeunissement permet d’explorer un Poirot célèbre mais pas viellissant, plus dandy que vacancier excentrique, imbu de lui-même mais ayant encore quelque chose à prouver, du coup (et c’est dommage) plus sérieux qu’espiègle… et de mettre en scène Branagh lui-même en vieux beau mélancolique, en figure admirable et admirablement pathétique, en vrai héros en somme plutôt qu’en détective rigide, quitte à ne pas parvenir à trouver de vraie justification dramatique à ces transformations.
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