Impossible en regardant Le docteur Mabuse, le joueur de ne pas penser au Nosferatu de Murnau sorti seulement quelques mois auparavant.
En effet, si le docteur Mabuse répond au comte Told que "l’expressionnisme est un jeu... Mais pourquoi pas ? Tout est jeu aujourd'hui", celui-ci trahit à la fois la volonté du réalisateur de se démarquer de l'expressionnisme (mouvement auquel les critiques de l'époque souhaitaient absolument le rattacher) mais également la fascination de Fritz Lang pour Murnau. Il suffit d'ailleurs pour s'en convaincre d'étudier l'omniprésence des thèmes de la mort, du pouvoir et du mouvement au travers des deux œuvres.
L'ingéniosité de la mise en scène, l'audace et la maîtrise de certains plans ainsi que le rythme soutenu rendent Le docteur Mabuse très agréable à visionner. En effet, Fritz Lang retient l'attention du spectateur pendant 4h30 en alternant les scènes de course-poursuite, le drame, le fantastique et l'enquête policière.
Le docteur Mabuse, psychanalyste de profession, permet de dresser une image sans concession de l'Allemagne des années 1920'. Par sa capacité de métamorphose, celui-ci réussit à s'infiltrer partout dans la société. Tout n'est ici qu'un jeu, légal ou non. Le docteur maléfique étend son pouvoir dans des lieux tout à fait licites tels que la bourse ou encore lors d'une représentation publique mais n'hésite pas non plus à s'inviter dans les salles de jeux clandestines. De toute façon, le droit n'a plus ici sa place : le docteur crée son propre État.
D'ailleurs ce ne sont pas les élites du pays qui seront en mesure d'empêcher le docteur en quête de pouvoir d'étendre son influence. Les époux Told, aristocrates, ont "le sang fatigué" et sont incapables d'éprouver la moindre émotion par eux-mêmes (l'une est voyeuse et frigide tandis que l'autre est renfermé et refoule ses pulsions). Le monde de la finance est faible et instable. La grande industrie est dilapidée le soir aux cartes par son jeune patron totalement désintéressé de son affaire. Seuls prospèrent ceux qui rabaissent leur commerce aux mœurs décadentes de l'époque. C'est d'ailleurs à travers la critique de cette dernière catégorie d'élite seulement que le film sombre dans le moralisme. Fritz Lang retranscrit rapidement l'ascension d'Emil Schramm, sans-abri en 1912, à l'arrière pendant la première guerre mondiale, puis fortuné en 1922. Le grotesque du personnage permet au spectateur de déceler le patriotisme du réalisateur.
Si Le docteur Mabuse est une œuvre sur les hommes de cette époque, ce n'est pas tant en raison de la dénonciation de l'oisiveté des élites et le manque de lucidité des classes populaires que par ce que la représentation de certains personnages reflète de l'état d'esprit de l'époque. Ainsi, les personnages juifs sont toujours présentés de façon stéréotypée tout au long du film (receleurs de diamants ou vendeur ambulant).
Si Le docteur Mabuse n'est peut-être pas tout à fait un film visionnaire, tout du moins permet-il au spectateur d'avoir un aperçu complet de cette époque complexe et mouvementée : les années 1920'.