Quinze ans à peine après la parution du célèbre roman de Gaston Leroux, Carl Laemmle et Universal Pictures saisissent l’opportunité de consolider l’identité du studio, en surfant sur le succès du muet et notamment sur le « Nosferatu » de Murnau. L’adaptation de « Le Bossu de Notre-Dame » mettait déjà à l’honneur l’écrivain français Victor Hugo et son martyr Quasimodo, où Lon Chaney composait avec un maquillage bluffant. C’est donc à Rupert Julian de prolonger les hostilités, en mettant en place un jeu d’amour noir entre un fantôme du passé et sa muse. L’Opéra Garnier jouit d’une fougue et d’un prestige qui n’a rien à envier à la cathédrale. Et son approche du conte de la « Belle et la Bête » ponctue intensément cette influence tricolore, que l’on entend dans chaque note, en harmonie avec la malédiction de Faust.


Un cadavre qui pend, une ombre qui s’efface. C’est un esprit malveillant et redoutable qui rode dans la profondeur d’un bâtiment, qui expose sans mal tout le luxe et la bourgeoisie qui y trouve refuge. Mais au milieu du spectacle, c’est une affaire d’attraction et de répulsion démoniaque, qui guette la talentueuse Christine Daeé (Mary Philbin), rapidement poussée sur la scène. Entre le succès qui lui est promis et une conquête idyllique auprès du vicomte Raoul de Chagny (Norman Kerry), elle deviendra l’instrument d’un désir, éprouvé par Erik, campé par un Chaney de nouveau métamorphosé et en démonstration. En évoluant dans un décor gothique et magnifiquement reconstitué, les ombres deviennent des parcelles ténébreuses, qui justifient la terreur d’un personnage mutilé et criminel en tout point. Et si l’on vient à étouffer les origines de ce dernier, cela n’est que plus pertinent dans le développement de sa relation envoûtante avec Christine.


Il n’est pas nécessaire d’en rajouter davantage sur le fil d’un récit, déjà bien construit et enveloppé d’une mise en scène impeccable, pour ne pas dire audacieuse. Le contraste est fort entre les deux mondes qui se chevauchent, l’un sous les bougies, l’autre dans la solitude. Et pourtant, il existe un lien étroit et une fascination remarquable pour ces deux extrémités chez la cantatrice. L’amour et la pitié qu’elle entretient, avec la créature qui la retient, lui confèrent le même masque que nous portons, afin d’éviter que la laideur s’affirme. Elle peut s’inspirer des enfers, mais ce seront bien les émotions des personnages qui les terroriseront le plus, jusqu’à en mener la perte de certains. Nous gagnons donc à découvrir cette première incursion du « Fantôme de l’Opéra » au cinéma, en acceptant que la réalisation d’Ernst Matray soit perdue à jamais, sans doute dans les mêmes flammes qui embrasse les sentiments et un opéra, souillé par ses mœurs, souillé par son orgueil.

Cinememories
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le 30 oct. 2021

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