Chez Hong Sang-soo, le dispositif est souvent minimal, est mieux vaut être averti : son récit ne cesse d’aborder les mêmes questions, celle du marivaudage ; son exploration fonctionne toujours sur le même principe, les variations et la fixité.


Le jour d’après ne déroge pas à ses règles de conduite, même s’il ne rejoue pas la carte de la même scène répétée avec des variations qui caractérise un certain nombre de ses films. L’intrigue minimale prend pour pivot un homme dont les trois fonctions (le mari, l’amant, l’employeur) vont le faire tourner sur lui-même jusqu’au vertige identitaire.


Pour accroître l’épure, le réalisateur opte pour un noir et blanc laiteux qu’on croirait emprunté à Philippe Garrel, sans qu’on en comprenne la réelle utilité, et un motif musical épars, volontairement low-fi, qui ponctuera certaines des transitions.


C’est peu de dire que le film table sur sa capacité à susciter la fascination autrement que par la pose : Hong Sang-soo mise tout sur l’écriture des dialogues et le jeu de ses comédiens. Et force est de reconnaitre qu’il vise juste. Le jour d’après, comme bien des films estampillés Nouvelle Vague, peut irriter, déconcerter par certaines de ses langueurs, déconcerter par son insistance dans la répétition, il n’en demeure pas moins tout à fait pertinent en matière de gradation. Chaque bloc séquentiel qu’on pourrait résumer à un dialogue, très long, le plus souvent filmé en plan-séquence et panoramiques d’un interlocuteur à l’autre procède d’une logique presque hypnotique, une invitation à un temps réel duquel surgiront des vérités essentielles.


La seule permanence, à l’unisson de l’esthétique des cadres, est celle de l’espace : les lieux sont inamovibles, emprunts d’une certaine sagesse, en silencieux désaccords avec l’instabilité des êtres qui les occupent. Le temps lui-même, à de rares occasions, se désagrège, et les ellipses violentes nécessitent un recours à la parole pour remettre les choses à plat - et, souvent, s'en remettre.


L’homme, particulièrement, est sous le feu de cette fragilité. Tiraillé entre deux femmes, incapable de s’établir, c’est par le biais d’une troisième qu’il parviendra à désactiver l’esquive en laissant les mots s’installer. Car Le jour d’après est surtout celui de l’arrivée d’une tierce personne, la fantastique Kim Min-hee (déjà incroyable -et totalement différente - dans Mademoiselle), dont la présence et l’aptitude au dialogue vont révéler les êtres.


C’est peut-être là que se joue la substance même de ce micro-drame : loger, au cœur de la médiocrité sempiternelle des êtres, une propension à l’universalité, et la secousse d’une parole véritable. Si Hong Sang-soo fige à ce point son esthétique, laisse à l’échange le temps des détours, c’est probablement pour ne pas nous laisser abuser par les motifs de distraction ; et pour nous en détourner, Kim Min-hee, solaire, juste, d’un charme absolument désarmant, qui prend possession des lieux comme de ceux qui la regardent, sans la moindre malveillance. Compagne et muse du cinéaste depuis 5 films, la comédienne désarme et magnifie chaque scène.


Même s’il ne devait se réduire qu’à cette déclaration, Le jour d’après vibre d’un tel amour qu’il en devient contagieux.

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le 8 juin 2017

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Sergent_Pepper

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