Ah, Le Lauréat. Depuis aussi longtemps que je me suis plongé à fond dans le cinéma, ce film figure probablement parmi ceux que j’ai le plus souvent vu cité comme un must absolu et un immanquable. Forcément, il a aussitôt rejoint ma liste de films à voir, mais comme pour tout, il ne sert à rien de se presser et le mieux pour en profiter au maximum est d’attendre le moment opportun. Et, finalement, il est arrivé la semaine dernière où, enfin, j’ai pu découvrir ce film qui, en effet, mérite son statut de référence cinématographique.


« Hello darkness, my old friend… » Les premiers mots de la chanson phare du film, The Sound of Silence, composée et chantée par Paul Simon et Art Garfunkel, annonce déjà ce qui attend notre héros. Ben, ce jeune homme fraîchement diplômé, fierté de parents qui l’exhibent comme un trophée devant tous leurs « amis » qui l’infantilisent. Ben est jeune, timide, introverti, mais pourtant, il n’aspire qu’à grandir et à prendre son indépendance. Le joug de ses parents, autrefois protecteur et rassurant, est devenu envahissant et compromettant. Il est à un carrefour de sa vie, à la sortie de l’enfance et à l’arrivée à l’âge adulte. En vérité, Ben ne sait pas vraiment ce qu’il veut, il est dans l’incertitude. Jusqu’ici, il a tout réussi, mais désormais, la donne a changé. Le monde dans lequel il était, fait de notes, de classes, de passage au niveau supérieur, n’est plus celui dans lequel il est désormais lâché. Ben doit faire face au monde adulte, à la société, et ces terribles chimères qui l’effraient se personnifient en une femme autoritaire, aussi charismatique qu’inquiétante : Mrs Robinson.


« Mrs. Robinson, you’re trying to seduce me ! » L’hésitation de Ben face au comportement très aguicheur et directif de la femme est tout à fait représentatif de la fragilité imputable à sa jeunesse et à son immaturité. De même, elle est également aggravée par l’assurance de cette femme qui profite de la situation pour prendre l’avantage. Ben fait face à une société dangereuse où les jeux de faux-semblants sont permanents et où les individus agissent dans leurs propres intérêts, il est malléable et en manque de confiance, ce qui fait de lui une cible idéale. Et Mrs. Robinson est le point de contact, ce Charon de l’âge adulte, offrant le passage du monde innocent de l’enfance, au monde plus brutal et rationnel des adultes. C’est ainsi que Ben comprend que pour avancer, il ne peut se contenter de se laisser faire, de subir la situation, et qu’il doit désormais faire face à ses responsabilités, prendre les devants, prendre des décisions, pour avancer.


Toutefois, le jeu ne compte pas qu’un joueur, mais deux. Ben n’est pas la seule victime de cette situation. Si c’est ce que le film veut faire croire au début, le spectateur se rend progressivement compte que Mrs. Robinson est elle aussi en situation de détresse. La relation tumultueuse entre Ben et la femme consiste en une confrontation entre la jeunesse hésitante et la vieillesse crainte. Si Mrs. Robinson, par son expérience de la vie, a su se construire une carapace et devenir, en apparence, la femme forte qui dirige Ben, c’est en réalité une femme fragilisée par un manque de confiance maladif dont le seul remède qu’elle ait trouvé pour le soigner est la mise en place d’un jeu de séduction malsain. Ainsi, le manque de confiance est-il au cœur de cette relation, avec d’un côté le manque de confiance refoulé derrière le refus de céder à la tentation, et la maturité et la peur de la vieillesse refoulée derrière la domination et l’oppression. Une nouvelle fois, on retrouve deux types de comportements très répandus dans la société, et résultant finalement d’instincts humains.


Au-delà de cela, Le Lauréat se présente comme un tableau usé et fatigué, aux couleurs ternes et aux craquelures qui ne font que s’amplifier. Car si Mrs. Robinson est pour Ben la clé de la porte d’entrée vers le monde des adultes, elle est également le reflet d’une société usée et fatiguée. Elle représente l’épuisement de cette société puritaine où les tabous, jusqu’ici demeurés cachés aux yeux de tous, s’exposent. Femme infidèle qui séduit des hommes plus jeunes, artifices de la chirurgie esthétique, relents d’une bourgeoise abjecte, toute la société puritaine qui s’était installée depuis plusieurs décennies se découvre et s’effondre au profit d’une jeunesse plus optimiste et libre.


Le Lauréat met en avance ces bouleversements sociaux qui opèrent à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Dans la même mouvance que d’autres films cultes en tête de cette contre-culture tels qu’Easy Rider (1969) et Point Limite Zéro (1971), il vient porter le flambeau d’une nouvelle génération, et il est même le précurseur en la matière au cinéma. En effet, il marque également une rupture dans l’histoire du septième art, puisqu’il est sorti en 1967, un an après la fin du Code Hays, qui contrôlait le ton des films et censurait toute déviance. Le Lauréat se présente comme un véritable pied de nez envers ce dernier, en proposant des dialogues plus osés, des images plus explicites, pour un résultat plus cru et viscéral, mais jamais grossier, renouant avec les films Pré-Code du début des années 1930.


Ainsi, Le Lauréat est un film qui tient sa réputation et sa qualité par sa capacité à enterrer le passé et à ouvrir de nouvelles pistes sans jamais s’égarer. Le film n’a absolument pas vieilli, et malgré sa contestation plus qu’ouverte de la société puritaine de l’époque, ses messages demeurent toujours d’actualité.

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le 16 déc. 2017

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