Se comparer à Holmes et Watson, c'est un peu fort, quand on n'est même pas fichu de résoudre un « mystère » dont le spectateur attentif aura lui-même percé la clé dans les cinq premières minutes du film. Car en effet, là où le génie de Doyle nous aurait sans aucun doute balader pour mieux briser nos certitudes, Rémi Bezançon se contente de noyer le poisson durant 1h40 avant de nous ramener sans préavis à une résolution d'une évidence telle qu'on n'osait même plus l'envisager.
Je ne gâcherai certainement pas le film en annonçant d'emblée que l'auteur du mystérieux manuscrit n'est autre que le jeunot ignoré par la critique sur lequel s'ouvre le film, qui rencontre alors malgré lui le succès dans l'anonymat. En effet, si ce revirement aux allures d'oxymore a quelque chose de séduisant, la nonchalance des aveux de l'auteur désamorce complètement les possibles effets de la révélation. Effets déjà bien amoindris par de malheureuses facilités scénaristiques : l'improbable coïncidence entre le passé russe du bibliothécaire et l’ascendance de l'auteur est la plus regrettable d'entre elles.
Mais, de surcroît, faire du seul véritable personnage d'écrivain le mystérieux auteur du mystérieux manuscrit, n'est-ce pas atrocement réducteur en soi ? C'est une chose, que le personnage de Fabrice Luchini soit persuadé que jamais un pizzaiolo breton ne pourrait être l'auteur d'un fameux best-seller. C'en est une autre, que de lui donner raison au bout du compte.
Bien que le mystère qui donne son titre au film ne soit dans les faits pas plus épais d'une feuille de papier, on peut toutefois apprécier le caractère obsessionnel presqu'à l'absurde de cet impitoyable critique littéraire. Et pourtant, admettre que la paranoïa de ce détracteur en série est justifiée ne revient-il pas à légitimer les revers du milieu éditorial que le personnage semble incarner ? La conclusion de cette quête, à vrai dire creuse, n'aurait-elle pas été plus acerbe si l'on n'avait jamais retrouvé le véritable auteur du manuscrit ? Ou si celui-ci s'était bien est bien avéré être Henri Pick ? Le film n'affirme-t-il pas, en somme, que le pizzaiolo breton n'aurait en aucun cas pu être à l'origine du chef-d’œuvre qu'on lui aurait attribué par erreur ? Ne soutient-il pas alors qu'un homme modeste qui effectue un travail plus manuel qu'intellectuel est incapable de donner vie à une œuvre littéraire ? Et, par la même, le film qui exemplifie soigneusement la puissante résonance qu'un livre peut trouver dans un panel d'individus divers ne réduit-il pas paradoxalement la littérature à une élite lettrée dont un pizzaiolo breton ne fera sans doute jamais partie ? C'est peut-être là, finalement, le plus grand mystère que nous lègue Henri Pick...
À sa décharge, on peut tout de même saluer la finesse avec laquelle le film fait résonner le manuscrit incriminé avec chacun des personnages que l'on devrait soupçonner en être l'auteur. Subtilité qui pourtant ne nous fait que regretter plus amèrement le dénouement de l'enquête.