"Qui n'a pas de passé, n'a pas non plus d'avenir"

Pourquoi Ahmad revient-il à Paris ? C'est Marie qui le lui a demandé. Elle veut faire avec lui les papiers du divorce, car elle souhaite clore une relation terminée depuis six ans et parce qu'elle envisage de se remarier avec Samir.
Mais Ahmad s'éternise. Il quitte Marie mais il s’inquiète de son avenir, car il a encore beaucoup de tendresse pour elle, ce qui attise la jalousie de Samir.
Ahmad s’installe chez Marie temporairement, le temps de faire les papiers. Cela lui donne l'occasion de revoir les deux filles de Marie, dont il s'est visiblement beaucoup occupé par le passé.


Ce passé obnubile tout le monde; il s'insinue partout, peut devenir obsédant, régit les relations, signe l'amour, l'amitié mais peut aussi plomber le présent. Un passé souvent bouleversant, à prendre avec des pincettes.
Dans le film, le scénario balance toujours entre la loyauté envers le passé et le besoin de se tourner vers l'avenir.


Ahmad a un rôle ambigu. Il est plongé malgré lui dans un rôle de médiateur. Autour de lui et face à lui, les autres personnages se confient, se dévoilent, avouent leurs faiblesses, leurs doutes, leurs désirs. Lui même a du mal à lâcher prise. Il se prend à la fois encore pour le mari, l'amant, le père, mais il sent bien au fond de lui qu'il n'est plus à sa place dans cette famille et dans cette maison.


Marie hésite, hésite et hésite encore. Par l'intermède d'Ahmad, elle apprendra de sa fille que l'ex-femme de Samir est dans le coma, car elle a su leur relation et elle a tenté de se donner la mort. D'où une grande culpabilité qu'elle ressent et qui la paralyse. Que faire ? S'engager auprès de Samir, dont elle attend un bébé, quitte à s’éloigner de Lucie, sa fille aînée, ou laisser Samir à ses doutes et à son petit garçon, bouleversé par le coma de sa mère et la nouvelle relation de son père ?


Samir hésite entre sa nouvelle passion pour Marie, dont il attend un enfant et sa relation ancienne et son immense culpabilité face à son ex-femme qui est plongée dans le coma par sa faute.


Lucie est tapie comme un animal blessé, en fuite, en pleurs. Elle ne supporte pas la nouvelle relation de sa mère avec Samir. Elle a essayé de court-circuiter cette relation quitte à jouer avec le feu. Lucie a vu sa mère dans trop de bras et elle en a assez.


Fouad, le fils de Samir, un garçon d'une dizaine d'années, est perdu, bouleversé lui aussi. Il ne se sent chez lui nulle part, trimbalé et inquiet pour sa mère dans le coma qu'il considère comme morte. Il se rebelle, il multiplie les bêtises, il a peur, il est farouche. Son père le brutalise, ne comprenant pas les réactions de son fils qui sont bien souvent conduites par la peur. Fouad est alors dans l’interrogation, car il a du mal à comprendre ce monde d'adultes indécis. Il va se rendre compte que finalement les grands ont aussi peur que lui.


Asghar Farhadi, qui ne parle pas français a su, malgré ce handicap, conduire ses acteurs avec grand brio, les faisant répéter sans relâche, y compris longuement avant le tournage, leur demandant d'imaginer l'histoire de leur personnage, de garder sans cesse leur biographie en tête.


Il parait que ces inlassables exercices de préparation et ces répétitions ont pesé un peu lourd sur les comédiens, surtout pour Ali Mossafa (qui interprète le personnage d'Ahmad). Ce dernier s'est en effet un peu opposé à la méthode du réalisateur, qui s'était inspiré de son monde d'origine, le théâtre.
Pour Ali Mossafa, "chercher à expliquer le comportement d’un personnage par le recours à son passé ne peut avoir comme but que la résolution des contradictions présentes. Or pour moi, les contradictions doivent être acceptées pour rendre le personnage réel. Chercher à les faire disparaître me semble contre-productif".


Sur le même sujet, Bérénice Béjo, interprète de l'héroïne principale, a une vision un peu différente. Elle a confié : "quand on est comédien, on a peur parfois de manquer de spontanéité, mais je me suis rendue compte que c’est à force de travail qu’on devient le plus spontané. On connaît tellement le personnage que les choses nous échappent."
Je trouve que l'on sent particulièrement dans le film le fait que les comédiens connaissent à fond leur personnages. Ils sont tellement eux. C'est troublant.


Bérénice Béjo a reçu pour ce film le premier prix d’interprétation à Cannes en 2013.
C'est la première fois qu'Asghar Farhadi tourne en France, avec des acteurs français. Cela lui permet d'échapper à la censure iranienne.
Il a choisi Bérénice Béjo pour son rôle qui l'a ému dans The Artist et Tahar Rahim pour ses interprétations brillantes (il avait vu l'intégralité de ses fims) et pour son côté enfant.


J'ai particulièrement aimé l'ambivalence des personages, les retournements de situation, les conflits familiaux et l'expression des sentiments humains comme l'amour, la jalousie, la culpabilité, la peur.


Pour moi, les acteurs, sont tous, sans exception, du plus grand au plus petit, brillantissimes, tellement émouvants dans leurs expressions.

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le 15 août 2017

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