Asghar Farhadi est venu en France tourner son nouveau film où, pareil à Une séparation, tout commence par une demande de divorce. Celui de Marie et Ahmad qui, après plusieurs années de vie commune et autant d’éloignement (Ahmad est reparti vivre à Téhéran), décident enfin de statuer, officiellement, leur désunion. Gravite, autour de Marie, ses deux filles qu’elle a eut d’un premier mari, et puis aussi son nouveau futur mari, Samir, dont elle attend un bébé ; Samir a un petit garçon et sa femme est à l’hôpital dans le coma depuis presque un an après une tentative de suicide, ce qui semble pas mal travailler et tirailler Lucie, une des filles de Marie… Tout se met en place pour un pot-pourri d’amertume et une valse des non-dits où chacun va mentir et promettre, se mentir et se promettre, puis re-mentir pour re-promettre. Chabada-bada.

Chacun croit puis ne croit plus, tergiverse puis ne comprends pas, les certitudes s’effritent, les masques tombent, les voix s’élèvent, il pleut et Ahmad n’a pas de parapluie. De rancunes en silences, de trop de secrets en beaucoup trop de révélations, on finit, un, par ne plus y croire, deux, par ne plus estimer ni ressentir la dimension émotionnelle du film, davantage occupé à ciseler sa mécanique scénaristique avec multiples chausse-trapes qui, à la longue, deviennent ostensiblement voyantes, puis artificielles. On en perd son latin et le sens du film, on en ignore son trouble et ses vertiges, on doute même de sa sincérité, soudain.

Le drame humain qu’échafaude Farhadi se dilue dans un dispositif marqué qui annihile sa justesse, sa portée sociale et son action béhavioriste sur ce qu’il a dire de nos erreurs et de nos petitesses, de nos jugements mis à mal. Il y a même un côté volontairement plombé qui agace à la fin, avec ces acteurs qui ne font que tirer la tronche pendant plus de deux heures. Du coup, le jeu de Bérénice Bejo et de Tahar Rahim fait quelque peu crispé, engoncé dans un fatalisme grégaire et un état dépressif constant qui, à force, n’a plus grand-chose de crédible (le pompon du pompon à Lucie, l’adolescente cafardeuse, avec cernes sous les yeux, teint grisâtre, voix cassée et pas un sourire).

À un moment, on a envie de leur hurler, à tous ces gens tristes et blafards qui paraissent se complaire dans leur petit marasme existentiel, "Mais bougez-vous les fesses ! Gueulez un bon coup et réglez vos problèmes une bonne fois pour toutes !". Seul Ali Mosaffa, dans le rôle d’Ahmad, parvient à apporter subtilité et présence magnétique à un personnage plus en nuances. Alors OK, Le passé se suit avec intérêt et sans ennui parce que le scénario sait ménager plusieurs zones d’ombre (un poignet foulé, une tache sur une robe…) et questions sans réponse (qui a envoyé les mails ? Pourquoi Ahmad a fait une dépression ?…) qui sont les enjeux les plus intéressants du film quand on les compare, ô malheur, à la lourde logistique du reste souhaitant surprendre, duper, égarer le spectateur dans un jeu de la vérité XXL sans fièvre ni affects ; goût du twist et étude psychologique ne font pas toujours bon ménage, la preuve.

On passera aussi sur une symbolique ni claironnée ni appuyée, mais pataude, gentiment évidente ; par exemple cette première scène à travers la vitre où Marie et Ahmad tentent de communiquer sans se comprendre (en gros, tout le sous-texte du film), ou encore Marie et Samir qui vivent dans un pavillon de banlieue à moitié en chantier (comme leur vie) au fond d’une impasse (comme leur vie) où des trains passent et repassent (comme leurs sentiments) au loin vers l’inconnu (comme leur avenir). Farhadi a tenté de réitérer le succès d’Une séparation en copiant-collant (et en multipliant par dix) ses qualités narratives et structurelles pour en faire finalement un ersatz prétentieux qui donne surtout l’impression, dans sa posture auteurisante, de courir après la gloire du cinéaste parvenu (une palme sinon rien), le consensus critique (Télérama, Télé 7 jours et Les Inrocks au garde-à-vous), la reconnaissance publique (refaire le coup du million) et le cul de la crémière (Bejo a chaud).
mymp
4
Écrit par

Créée

le 21 mai 2013

Critique lue 2.9K fois

31 j'aime

mymp

Écrit par

Critique lue 2.9K fois

31

D'autres avis sur Le Passé

Le Passé
mymp
4

Secret story

Asghar Farhadi est venu en France tourner son nouveau film où, pareil à Une séparation, tout commence par une demande de divorce. Celui de Marie et Ahmad qui, après plusieurs années de vie commune et...

Par

le 21 mai 2013

31 j'aime

Le Passé
guyness
7

Iranien qui ira le dernier

J’avoue que l’utilisation de cette blague vieille comme Hérode (ou mes robes, comme disait San-A) est à la limite de la décence (d’autant qu’Hérode fut roi de Judée et n’était donc pas Iranien) mais...

le 20 sept. 2013

30 j'aime

7

Le Passé
Grard-Rocher
8

Critique de Le Passé par Gérard Rocher La Fête de l'Art

Le retour d'Ahmad à Paris est aussi gris que le temps qui l'accueille. Iranien, il vient de Téhéran afin d'officialiser son divorce avec son épouse qu'il n'a pas revue depuis quatre ans. Durant ce...

28 j'aime

15

Du même critique

Moonlight
mymp
8

Va, vis et deviens

Au clair de lune, les garçons noirs paraissent bleu, et dans les nuits orange aussi, quand ils marchent ou quand ils s’embrassent. C’est de là que vient, de là que bat le cœur de Moonlight, dans le...

Par

le 18 janv. 2017

179 j'aime

3

Killers of the Flower Moon
mymp
4

Osage, ô désespoir

Un livre d’abord. Un best-seller même. Celui de David Grann (La note américaine) qui, au fil de plus de 400 pages, revient sur les assassinats de masse perpétrés contre les Indiens Osages au début...

Par

le 23 oct. 2023

165 j'aime

14

Seul sur Mars
mymp
5

Mars arnacks!

En fait, tu croyais Matt Damon perdu sur une planète inconnue au milieu d’un trou noir (Interstellar) avec Sandra Bullock qui hyperventile et lui chante des berceuses, la conne. Mais non, t’as tout...

Par

le 11 oct. 2015

161 j'aime

25