L'homme qui se tenait debout

Sympa ce film.

J'ai passé un bon moment. Surtout devant la première histoire de ce film. Parce que "Bridge of Spies", c'est une double histoire : d'abord celle d'un avocat qui défend un espion russe (1h de film), puis celle d'un négociateur qui doit échanger cet espion contre deux américains (1h10 de film). C'est un peu ce qui fait la faiblesse du film, même si la seconde est solidement préparée durant la première partie (on voit en parallèle le futur prisonnier américain tandis que le héros insiste assez lourdement, avant la fin de cette première moitié, sur le fait que l'espion russe pourrait servir plus tard pour récupérer un allié).

C'est la faiblesse parce que les enjeux, les objectifs, les conflits sont différents, parce qu'il faut redémarrer de presque zéro arrivé à la première heure, parce que la première histoire était suffisamment prenante pour qu'on ait envie de se focaliser uniquement là-dessus, parce que chacune des deux histoires aurait mérité son propre film. En combinant les deux, les auteurs sont un peu obligés d'aller vite. Cela n'empêche pas d'avoir de très bonnes scènes, surtout qu'on ne se sent jamais pressé comme ce peut être le cas des films Marvel, par exemple, qui compilent tellement de personnages et de scènes qu'on a l'impression que le réalisateur regarde sa montre constamment sur le tournage pour être sûr de ne pas dépasser. Et puis surtout, chacune des deux histoires est globalement bien racontée au contraire d'un "Schindler's List" qui souffre de son scénario décousu.

La deuxième partie est un peu moins conflictuelle aussi. On sent que les négociations ne sont pas simples, que le héros marche sur des œufs mais le personnage ne semble pas autant pris à la gorge que dans la première partie où sa caractérisation est mise en valeur par l'avis contraire de la masse, où sa vie de famille en pâtit (ce qui le pousse à réfléchir à deux fois avant d'agir).

Heureusement, le film se laisse suivre grâce à de nombreuses bonnes scènes, grâce à une dose d'humour bien équilibrée (j'ai été étonné de constater à quel point l'aspect comique prend de la place) et enfin pour les personnages plutôt bien écrits (non pas en terme de background, on ne sait d'ailleurs pas grand chose des personnages, mais bien en terme de caractérisation, de personnalité). C'est un récit assez riche (en détails - historiques ou non ; en situations - les scènes sont plutôt éclectiques, on a même droit à un peu d'action et puis de belles scènes de filature) et généreux (le traitement est à la hauteur).

La mise en scène est très plaisante. Je n'ai pas vu les deux précédents films de Spielberg, mais son Tintin m'avait un peu déçu pour sa caméra exubérante ; ici, Spielberg en revient à une certaine sobriété : certes, la caméra est constamment en mouvement, mais c'est discret et souvent pertinent (la séquence de filature, par exemple) ; et puis cela amène un côté vivant (comme le repas à table) qui n'est pas à dénigrer.

Ce qui m'a déçu, c'est surtout la qualité de l'image : cet amas de filtres pour ternir les couleurs tout en ayant un surplus de détails au point que tous les acteurs prennent un gros coup de vieux ou semblent avoir une fausse peau tandis que les décors brillent de manière surréaliste, ça ne me fait pas du bien. Tout semble avoir été refait en post-prod, c'est bizarre. Ce n'est pas complètement moche, ça rappelle un peu la peinture (c'est ça en fait, les visages ont l'air d'avoir été peints) mais je préfère une image plus naturelle, sans tous ces filtres, sans tous ces effets de style qui ne seront plus à la mode dans 10 ans.

Les acteurs sont tous très bons. On sent que chacun s'amuse, se plaît dans ce film, dans son rôle, que ce soit pour l'aspect dramatique ou humoristique. En parcourant la trivia IMDb du film, je suis tombé sur la liste de collaborations cinématographiques entre Tom Hanks et Spielberg et je me suis aperçu que cela n'a lieu que pour des histoires basées sur de vrais événements. Amusant ! Est-ce une coïncidence ou une sorte de deal ? Verra-t-on jamais Tom Hanks dans "Indiana Jones 11" ou un de ses films de science-fiction ? Bon de toutes façons, Spielberg est censé ne plus faire de block busters...

À ce propos, si ce film tient plus du thriller que du pop corn explosif, il reste malgré tout une scène d'avion assez bien foutue tant dans le découpage que dans les effets spéciaux. Et puis tout du long, Spielberg parvient à maintenir un certain niveau de tension tout en n'ayant recours à la musique que modérément, ce qui donne un effet assez spectaculaire malgré des prises de vue simples. Et surtout, cela montre que le bonhomme est doué pour rythmer un film.

L'on pourra également tiquer sur le message du film ; la première partie (pour moi évidemment, les thèmes me correspondant plus) est plus intéressante car elle s'intéresse aux vraies valeurs défendues par l'oncle Sam, ou plutôt par ce qu'il se passe lorsqu'on les applique réellement plutôt qu'hypocritement (surtout en cette période froide), tandis que la seconde partie du film nous montre la toute puissance américaine qui parvient non seulement à sauver l'Amérique (l'hypocrisie n'est pas vaincue mais elle est vite mise de côté, le négociateur disant vite fait au soldat 'ce qui compte c'est que vous, vous le sachiez - ce qui est un peu con) mais aussi à se faire respecter de la Russie. Pour moi, le message importe peu au fond, mais cela marque une véritable différence de ton entre les deux parties.

Ceci étant dit, je l'aime bien ce personnage principal. Il m'a rappelé les vieux films des années 40 avec, par exemple, un James Stewart idéaliste. C'est un peu naïf mais je pense que ça manque de nos jours d'avoir un vrai héros tout simple. C'est un peu idiot de toujours taper sur le manichéisme alors que ça reste un élément important de la culture, nécessaire également à l'éducation, non pas pour formater les gens en simplifiant ces notions philosophiques compliquées que sont le bien et le mal, mais afin de dresser des repères pour justement mieux appréhender ces questions. Et le côté 'petit américain parfait digne d'une propagande US' est également un parti pris que je peux défendre (après tout, chaque film est la propagande d'une ou plusieurs idées, ce n'est pas parce que ces idées sont moins sociales, moins réalistes qu'elles sont moins intéressantes ou moins critiquables, tout est une affaire de réflexion, le cinéma étant l'un des arts les moins réflexifs, je trouve, étant donné que la plupart du temps on prend pour acquis ce qui nous est montré et rares sont les gens, moi y compris, qui vont creuser des questions posées par les auteurs).

Bref, j'ai passé un bon moment devant ce film ; arrivé à la deuxième histoire, mon attention s'est un peu relâchée malgré des qualités indéniables (c'est juste que cela implique une redistribution des cartes, ce qui est râlant après une heure de film) mais je suis resté pris par le film.