Au petit jeu du raisonnement binaire, Steven Spielberg arbore deux visages aux antipodes : celui léger, capable de mettre du baume au cœur, et l’autre plus sombre, chargé du poids de l’Histoire qui remue savamment. Bien entendu, sa vaste filmographie est pétrie de nuances en tous genres, mais la distinction transpire bien ci et là quand par exemple, aux joyeux et divertissants Catch Me If You Can/The Terminal succédèrent les dépressifs et engagés Munich/War of the Worlds.
Si le fossé en termes de tonalités est palpable, le second-cité n’est pas pour autant dénué de fond et ramifications dramatiques : car en adaptant (très) librement l’histoire de l’iranien Mehran Karimi Nasseri, bloqué dix-huit ans durant à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, Spielberg conjuguait le récit géopolitique à l’humain. The Terminal s’arroge ainsi une coloration dramatique évidente, si ce n’est que celle-ci transpire davantage sur le papier que dans les faits.
Au risque de mettre les pieds dans le plat, disons simplement que le scénario de Gervasi et Nathanson est enrobé d’un miel dégoulinant de bon sentiments, à tel point que ses prétentions « complexes » ont tôt fait de s’éroder : de fait, si Viktor Navorski découvrira bien avec horreur la réalité de sa situation, victime malheureuse d’un imbroglio suspendu aux paradoxes et aberrations d’une législation rigide, ceci sera précédé et suivi d’une ribambelle de « gags » désamorçant tout élément de tension.
Problème : The Terminal n’est jamais vraiment drôle et échoue même à capitaliser pleinement sur l’empathie du spectateur. Les obstacles de la barrière de la langue sont exploités grassement, sans réelle subtilité, au point de verser dans une prévisibilité de mauvais aloi ; tandis que le mécanisme du quiproquo s’accompagne d’une incompétence criante chez ses interlocuteurs, Viktor fait montre d’une opiniâtreté à la fois maladroite et efficace, s’attachant peu à peu les bonnes grâces des petites gens de l’aéroport : la mascotte en devenir prend pour de bon ses quartiers.
Au final, les intentions de Spielberg sont tout bonnement trop peu équilibrées, la citation « I wanted to do another movie that could make us laugh and cry and feel good about the world » nous sautant à la figure sans réel doigté : de la romance forcée entre deux âmes égarées aux manigances risibles de Franck Dixon, The Terminal cumule les poncifs visant à forcer le divertissement, abandonnant son potentiel remuant pour une comédie facile. Dommage, car l’indéboulonnable Tom Hanks signe là une prestation remarquable, notamment sur le plan linguistique : n’en déplaise à l’écriture particulière de son rôle, belle prouesse !
C’est ainsi donc que The Terminal n’aura pas tenu toutes ses promesses, le contenu de sa boîte de conserve et le dénouement assorti n’ayant logiquement rien de l’impact escompté : pour ce qui est du récit intimiste, satirique et original, nous repasserons... tout le contraire de Catch Me If You Can en somme !