Très jeune, Mars Attacks! me marquait au fer rouge et vert pour un temps : mais en sa qualité de parodie acide, il ne s’agissait en réalité que d’un ersatz de traumatisme, incapable de perdurer en tant que tel. Puis vint War of the Worlds de Steven Spielberg, j’étais alors un peu moins jeune… mais ma terreur n’en fut que plus grande. À tel point que j’ai longtemps, très longtemps, rechigné à m’y confronter de nouveau.
Un sentiment partagé par d’autres, assurément, ceci en disant long sur le profond impact de ce Spielberg hors-norme, qui ne se départage pourtant pas de certains de ses thèmes fétiches. De fait, il convient aussi de remettre en lumière la versatilité de sa longue carrière, nullement réduite à de simples succès dits « grands publics » : bien au contraire, qu’il s’agisse d’un Jaws enclin à l’épouvante, les élans polymorphes d’Indiana Jones ou encore d’un Jurassic Park doué d’une douce épouvante, cette propension au noir n’est en aucun cas une nouveauté.
Au demeurant, disons donc que War of the Worlds est certainement le plus jusqu’au-boutiste en la matière, tout en consistant en un judicieux exercice d’adaptation : puisant dans le roman éponyme de H. G. Wells, le long-métrage transpose sa trame de la fin du XIXe au XXI siècle, où l’hégémonie états-unienne remplace au pied levé celle de l’Empire colonial Britannique d’alors. C’est d’autant plus logique que le déséquilibre du rapport de force nous prend encore mieux à la gorge : se parant des incontournables boucliers impénétrables, la technologie extra-terrestre invoque une telle supériorité que toute résistance semble futile… quid de la fuite alors ?
C’est précisément sur ce point que ce War of the Worlds moderne est d’une viscérale efficacité, le sentiment d’impasse gagnant jusqu’au spectateur : le caractère irrémédiable de la situation transpire en ce sens à travers une mise en scène retorse, Spielberg ne lésinant pas sur l’hors-champ pour sublimer la menace, elle qui s’impose sporadiquement au gré de séquences cauchemardesques (le voir au cinéma devait être incroyable). Nous pensons naturellement à celle du ferry, précédée d’une silencieuse arrivée presque « Olympienne » (le mont surplombant la ville d’Athènes), ou par la suite cette débauche de pyrotechnie vaine, les invincibles tripodes balayant toute opposition.
Intimement lié à l’histoire juive, Schindler’s List en étant la plus évidente preuve, Spielberg semble y faire écho dans la débâcle de ses protagonistes : dans un décor apocalyptique fait de cendre et vêtements flottants au vent, ces derniers ne peuvent que se terrer dans l’attente d’une extermination inéluctable. L’immersion est dès lors complète à mesure que le récit ne s’engage dans cette voie, l’espoir se voyant réduit à peau de chagrin : l’imagerie déployée marquant alors la rétine au même titre que l’esprit, gageons que War of the Worlds a d’ores est déjà parvenu à ses fins.
Pourtant, le long-métrage est loin de faire l’unanimité, et ce à raison : car du côté des scénaristes Koepp et Friedman, les écueils sont patents et ont trait à deux pans majeurs du récit. D’un côté, tandis que le cinéma spielbergien répète le jeu du socle familial fissuré, les manquements et tourments paternalistes de Ray Ferrier confinent à la circonspection : non pas que l’interprétation centrale de Tom Cruise soit en cause, celle-ci étant en réalité on ne peut plus honorable, mais le traitement pataud de sa relation à ses enfants pèche grandement.
Qui plus est, pour peu que nous outrepassions les cris incessants de Rachel, encore faudrait-il que Robbie ne soit pas aussi antipathique : pas aidé par la prestation forcée de Justin Chatwin, le personnage convie grimaces ridicules et motivations incohérentes, de quoi rendre son père davantage sympathique que coupable. Et puis, la complaisance dont fait finalement preuve War of the Worlds parachève le tableau d’une drôle de manière, au point d’édulcorer en bout de course ses sombres prétentions… ce qui nous conduit au second point : sa crédibilité.
Les exemples ne manquent pas, tel que ce Boston pas loin d’être immaculé où le salut des personnages sera total, mais autant s’en tenir au véritable point de discorde : l’échec « stratégique » des envahisseurs. Outre ce postulat saugrenu qu’est la dissimulation de machines de guerre pendant des milliers d’années, il faut bien reconnaître que l’erreur d’une telle civilisation est d’une idiotie sans borne : de quoi faire passer les passagers du Covenant pour des lumières, alors que nous nous ne pouvons que nous interroger sur les conditions, et conséquences, de pareille déroute.
Malgré tout, le bilan demeure très « positif », War of the Worlds tranchant suffisamment avec le blockbuster ordinaire, consensuel à l’excès, pour formuler une proposition de cinéma marquée du sceau du désespoir : certes, son impact s’est atténué avec le temps, et ses gamelles scénaristiques pèsent forcément dans la balance, mais son envergure simili-horrifique saisissante plaide nettement en sa faveur. In fine, n’oublions d’ailleurs pas de souligner son exhaustivité (relative) en termes de déliquescence, la panique étant l’inexorable moteur d’une humanité se parjurant.