Le Vent se lève
7.3
Le Vent se lève

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (2013)

Il fallait bien que ça se finisse un jour. On aurait seulement aimé que ce ne soit pas aujourd'hui.


Pas aujourd'hui.


Parce qu'aujourd'hui j'ai vingt-deux ans. Et que vingt-deux ans de ma vie passés à découvrir les contes de cet artiste, c'est trop peu. Et quand bien même j'en aurais eu cinquante, j'aurais trouvé cela encore trop juste. Car Miyazaki n'est pas de ces nectars dont on se délecte avec la parcimonie qu'on accorde au luxe et à la rareté. Il est une eau désaltérante, rafraîchissante, aussi essentielle que l'oxygène, aussi bonne que le soleil sur notre visage et la vie dans nos veines. "Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé". Comment vivre en sachant que plus aucun film portant sa signature ne paraîtra jamais plus sur nos écrans ? Comment combler le gouffre de sa disparition ? Heureusement Miyazaki-sama n'est pas qu'un être de chair. Il survivra dans ses œuvres et la pensée de ceux qu'il a bercé de ses rêves. Et la relève semble être assurée. Mais quand même...


Pas aujourd'hui.


Parce que qui sait ce que demain nous réserve ? Lui-même l'ignore. Ou feint de l'ignorer. Pourtant, toujours l'Histoire lui a donné raison. Ne nous mettait-il pas en garde par la voix de Nausicäa sur les dangers du nucléaire et l'immanquable retour des choses que la nature nous infligerait ? Ne nous prévenait-il pas que sous les petons potelés de Ponyo se trouvait la vague immense qui un jour nous engloutirait ? Ne souffle-t-il pas dans ses dernières interviews qu'il voit venir dans la logorrhée nationaliste et militariste des pays de l'orient lointain, la gigantesque silhouette de la guerre et ses trompettes claironnantes ? Le vent se lève, à nouveau... Mais s'il arrête, brusquement, de nous prévenir, de nous alerter, de ménager nos esprits insouciants, que cela signifie-t-il ? Tant que Cassandre continue à prophétiser, qu'on l'écoute ou pas, on entrevoit le futur. Qu'elle se taise, et l'on prend peur que de futur il n'y ait plus... Miyazaki est nos yeux : tant qu'il vit, tant qu'il voit, nous voyons ce qui peut-être nous attend. S'il se tait, c'est aveugles nous serons...


Pas aujourd'hui.


Parce qu'hier encore on s'extasiait devant la richesse de sa créativité sans borne, devant la justesse de ses observations, devant son humanisme libre, devant sa contagieuse foi en la survie de l'homme et au dépassement des contingences qui nous affligent. Point de démiurge dans ses histoires : l'homme nouveau, l'enfant vainqueur, la femme renaissante ne sont pas meilleurs que nous. Il incarne à lui seul l'antithèse de la culture populaire américaine (et donc occidentale) et à la fois son plus simple leitmotiv : ses héros sont aussi beaux, aussi fragiles, aussi simples que nous-mêmes, êtres de chair. Pas de super pouvoirs, ou si peu. Rien que de la sincérité, de l'abnégation et un goût irrépressible pour la liberté et l'amour. Je suis Pazu. Tu es Chihiro. Nous sommes son monde. Preuve en est de la liberté avec laquelle il puise dans ses relations, ses collègues et sa famille, les traits de caractère qui animent ses personnages. Human after all.


Mais si, aujourd'hui.


Parce qu'il était temps pour nous de prendre congé. De conquérir enfin notre indépendance. Longtemps il a joué son rôle de machine à rêves et avec ô combien de succès. Il nous a guidés, animés de sa flamme inflexible. Nous voilà désormais sur les rails. A nous de jouer. A nous de nous débrouiller pour déjouer les embûches que l'Humanité s'entête à ériger sur son orbite cahotante. Lui n'a été que la main ferme et assurée qui a poussé la selle sur laquelle reposait nos fesses roses, un dernier élan, et hop : « Pédale, pédale ! ». Il nous faut tenter de vivre – enfin par nous-mêmes.


Mais si, aujourd'hui.


Parce qu'il était temps aussi pour lui de nous dire, enfin, qui il était. Il nous a assez dit qui nous étions, assez rassuré sur nos forces. Nos forces que par facilité et goût pour le déterminisme nous nous obstinons à sous-valoriser. « Le vent se lève » livre un des derniers de ses secrets. Pour Horikoshi Jiro, il n'est pas allé chercher chez les dessinateurs du studio Ghibli. Il a exhumé ses propres rêves, ses propres peurs, sa propre histoire. Celle d'un enfant myope qui rêvait trop grand. Celle d'un créateur de génie emprisonné dans sa bulle. Celle d'un homme qui a connu la guerre, la souffrance, la tradition et la modernité, le code et la libre-pensée, l'amour. L'histoire d'un homme tout entier consacré à sa passion au point de presque – mais non – en oublier de vivre. On pourrait y voir un destin tragique, s'arrêter sur cette histoire plus sombre, plus politique, mais ce serait manquer de beaucoup le véritable message d'espoir livré par cet impénitent pessimiste aux œuvres si incorrigiblement optimistes. Et la dernière partie du film, d'une infinie tendresse, soulève un coin nouveau du voile qui couvre son mystère et son oeuvre. Un quelque-chose qui nous dit qu'il avait encore beaucoup à nous montrer, à nous dessiner, à nous apprendre. Un ultime clin d'oeil pétillant sous sa lunette ronde, comme pour nous dire que ce qu'il nous laisse entrevoir, ce sera à nous de le construire.


Le vent se lèvre, il faut tenter de vivre. Pour Jiro et Nahoko, pour lui, pour nous.


Adieu, mon petit grand papa.

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le 27 janv. 2014

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Fwankifaël

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