Victoria, attaquante vedette du ballet Lermontov

En voyant le début des "Chaussons rouges", hier soir, je méditais et louais les infinies richesses et complexités de la psyché humaine qui permettent, au spécimen relativement lambda de l'espèce humaine que je suis, d'assister, entouré de 42000 fans hurleurs (oui, une partie de l'arène est fermée) à une partie de ballon proposant un spectacle finalement assez déplorable pour, moins de 24 heures plus tard, s'attaquer au chef-d'œuvre de Powell et Pressburger de 1947 sur un sujet aussi subtil et délicat que peut l'être la danse classique.
Si les deux sujets semblent se situer à peu près aux antipodes du bon goût, je le confesse: j'aime presque avec autant d'intensité ces deux sources de plaisirs. Enfin, surtout quand l'équipe que je chéris joue convenablement, ce qui est loin d'être le cas du match évoqué plus haut.

Les chaussons rouges, donc.
Un petit moment que je courrais après ce haut moment cinéphilique.
L'attente ne fût pas vaine.

Avant tout, il me faut évoquer ce fantastique pied que constitue la vision de Londres, Paris ou Monaco en 1947 en un technicolor flamboyant. Rien que pour ça, déjà...!

Mais, et je ne vais faire preuve d'aucune originalité dans ce qui suit, le moment de bravoure est bien constituée de ces 17 minutes de ballet hypnotiques dont tous les éléments se combinent en une symbiose sensuelle et céleste: musique, chorégraphie, décors (ces décors !), costumes, effets spéciaux, montage... quelle claque.
Et, plus encore, comment imaginer l'effet que cela a pu produire sur les spectateurs de l'époque, dont la plupart découvrait la couleur en même temps que ce morceau d'éternité !
A tel point que je me suis amusé a revoir toute la séquence en accéléré pour mieux saisir les enchainements.

65 ans après, 95% des réalisateurs contemporains peuvent encore prendre de solides leçons à la vue de ce moment de grâce visuelle et sonore.
Même si ce n'était pas le but d'Aronofsky de se mesurer à ce monument, le Black Swan de ce dernier pâlit un grand coup à la vue du classique de Powell et Pressburger.

Ce qui ne justifie pas, à mes yeux, une meilleure note tient en deux points: le récit qui entoure le cœur du film eut put être écourtée, se montrer plus ramassée. Ensuite, la plastique de Moira Shearer (vraie danseuse mais non actrice avant ce film) manque de cette pointe de charme qui, à l'instar de la grâce émanant des scènes dansées, nous auraient totalement et définitivement emportés.

Finalement, et en regardant le générique de fin de ce métrage historique, je me disais finalement que les points communs entre le cinéma, la danse classique et le foot ne manquaient pas. Dans un univers comme dans l'autre, en effet:
- il faut tout donner à l'entrainement et être encore meilleur le jour J
- il s'agit souvent d'une "guerre entre le performer et le public"
- on peut quitter du jour au lendemain le club (pardon, la troupe) qui a permis d'éclore, sans état d'âme, et revenir quelques années après si on a pas trouvé mieux ailleurs, au mépris total de toute fierté...
- on s'étripe pendant les entrainements ou en cas de mauvaise performance, mais on se congratule avec moultes effusions quand la reconnaissance publique est au rendez-vous.

A puis tiens, l'attaquant de mon équipe, là, l'autre soir... N'arborait-il pas de superbe chaussure (à crampons) rouges ?
guyness

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