Le Plaisir que donne le pardon, la vengeance ne le donne pas



C'est toute la ferveur de l'amitié, toute l'exaltation de sa jeunesse qui s'exprime dans cette ultime phrase prononcée par Ala pour tenter de convaincre un père barricadé dans sa douleur, claquemuré dans son silence, arc-bouté dans son désir de vengeance, pour qu'il pardonne enfin, renonçant à la loi inique du Talion : oeil pour oeil, dent pour dent.


Une horde d'adolescents en uniformes bleus dans le bruit, les cris et l'excitation que suscite un anniversaire : les 18 ans d'un des leurs tandis que la tension, palpable, ne cesse de croître.
C'est ainsi que s'ouvre le film, dans ce centre de rétention à Téhéran où les "Enfants de Belle Ville" purgent peines et délits divers, encadrés par des éducateurs qui manient habilement la carotte et le bâton.


Il avait 16 ans et il l'aimait, mais elle était promise à un autre et leur double suicide a échoué : Akbar devra payer de sa vie cette folle passion amoureuse à laquelle lui, a survécu pour son malheur, condamné à mort dès ses 18 ans, à moins que le père de la victime n'accepte de retirer sa plainte, épargnant ainsi la vie du jeune homme.


Et c'est tout un questionnement qui s'engage à travers la loi du Talion, tout un débat philosophique qui s'articule autour des thèmes de la vengeance, de la clémence et du pardon.
Le système judiciaire iranien nous y avions déjà été confrontés dans Une séparation, sa complexité est ici sévèrement remise en cause, les parents de la victime pouvant exiger "le prix du sang", gracier l'auteur du crime ou bien permettre l'exécution de la peine : il faut toutefois savoir qu'en Iran le prix du sang de la femme est la moitié de celui de l'homme!


Chez Farhadi les personnages, jamais blancs ou noirs, se révèlent dans toute leur ambiguité et leurs contradictions d'hommes et de femmes : portrait de la société iranienne, reflet une fois encore de la situation de son pays tiraillé entre évolution et archaïsme.
Après les histoires de divorce, de couples en crise, d'adultère et de vieillesse, c'est la peine de mort, châtiment suprême encore très pratiqué en Iran, qui est abordée.


Firoozeh, la jolie soeur de Akbar, fraîchement divorcée de son grigou de mari dealer à ses heures, élève seule son enfant, jeune femme sinon libre du moins plutôt émancipée, qui boit, fume, entretient des relations amicales avec un autre homme, s'affichant avec lui dans le combat qu'elle mène pour sauver son frère d'une mort annoncée.


Elle incarne la belle résistance de la femme iranienne, celle qui fait vaciller les traditions d'un autre âge, celle qui se bat côute que coûte aux côtés d'un jeune homme passionné et pudique, déterminé lui aussi à vaincre le Talion, porté par une foi inébranlable et une confiance chevillées au corps, poursuivant inlassablement un vieil homme meurtri dans sa chair, enfermé dans sa douleur, qui ne se résout pas à pardonner, un croyant qui se retient à peine de maudire Dieu : tout le dilemme d'un père face aux versets sacrés du Coran.


Histoire de vengeance et de pardon mais aussi en filigrane une histoire d'amour : celle qui naît entre Firoozeh, la douce, la forte, et Alal, 18 ans regard pur et brûlant à la fois, de belles plages de silences et d'échanges touchés par la grâce, celle des non-dits, donnant à cette relation la force des amours impossibles qui se gravent à jamais dans les coeurs.


Sept ans avant Une séparation le cinéaste iranien démontre avec éclat sa facilité à ancrer des drames universels dans la réalité quotidienne, ces Enfants de Belle Ville n'étant qu'un maillon de plus dans sa filmographie, fidèle miroir d'une société qu'il n'hésite jamais à remettre en question.

Aurea
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le 17 sept. 2012

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le 28 sept. 2012

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