Un thriller violent au récit intelligent, captivant et émouvant

Après avoir marqué les esprits avec History of Violence pour lequel Viggo Mortensen était la tête d’affiche, David Cronenberg remet ça 2 ans plus tard en 2007 avec cette fois-ci Les Promesses de l’ombre, que l’on peut considérer comme une suite spirituelle à History. Le grand acteur bénéficiera en plus du soutien de Naomi Watts et de Vincent Cassel pour une plongée dans une mafia russe au cœur de Londres où la violence et les twists s’enchaîneront bien comme il faut. Ce n’est pas nécessairement dans ce genre de film que le réalisateur opère d’habitude mais vu la violence assez froide qu’il peut aimer montrer à l’écran, ce n’est pas si déroutant que ça a priori et à raison, puisque autant vous le dire tout de suite j’ai adoré ce film !


Alors qu’une jeune sage-femme se retrouve à enquêter pour retrouver les parents d’une adolescente décédée en accouchant, elle met le doigt dans un engrenage dont les rouages lui échappent complètement : trafic de substances illicites, assassinat, proxénétisme de mineures... C’est la confrontation entre deux mondes, celui des gens ordinaires et celui des mafieux, les premiers voulant simplement ignorer les seconds pour s’en préserver alors que ces derniers n’ont que mépris pour les premiers. Il y a un certain fond critique perceptible quand au fait qu’ignorer le monde du crime quand on n’en fait pas partie ne le fait pas disparaître pour autant, ce qui est assez appréciable.


Mais au-delà de ce fond critique, dès les premières minutes, c’est bien la violence qui se fait cruelle et explicite qui marque le film de son emprunte par rapport à d’autres films du genre. Ce n’est pas tant que le sang coule à flot, puisque pour Cronenberg c’est assez soft et que le genre y est souvent associé, que la façon dont les choses arrivent et la grande froideur avec laquelle on y assiste sur un plan unique, assez long et austère. C’est vraiment une réalisation typique de Cronenberg mais sans l’excès qui peut parfois me déranger dans ses films où la surenchère atteint un niveau inutilement élevé à mon goût.


Le casting est superbement efficace avec le duo Viggo Mortensen et Naomi Watts, deux acteurs parmi mes préférés de leur génération, dont l’opposition frontale et le rapprochement progressif fonctionne magnifiquement bien. De son côté, Viggo Mortensen a travaillé l’allure de son personnage lui-même alors que le scénariste Steven Knight en a écrit les répliques, ça marche vraiment très bien et Nikolaï dégage un charisme très puissant de par son professionnalisme posé et imposant. À côté de ça, Naomi Watts apporte une fraîcheur, une spontanéité, elle aussi autant par son allure que par ses répliques, qui se combinent très bien avec ce qu’apporte Viggo Mortensen.


Cronenberg à propos de l’interprétation de Naomi Watts : (traduit assez librement par mes soins)



Il n’y a pas 20 actrices qui pouvaient faire ce rôle. Il y a des subtilité émotionnelles, linguistiques, sociologiques associées à ce personnage, Naomi était la première sur la liste. L’alchimie est grande entre elle et Viggo sans être une histoire d’amour classique, davantage comme deux bateaux se croisant la nuit, en interaction intense mais qu’un court moment avant de se séparer à jamais.



Ça marche aussi plutôt bien du côté des rôles plus secondaires, notamment par un Vincent Cassel qui s’illustre par un surjeu maîtrisé et très approprié à son personnage clairement impulsif, alcoolique mais pas si malveillant que ça, vu son milieu. Il n’y a que Armin Mueller-Stahl, dans le rôle de Semyon, que je ne trouve pas très convaincant en pater familias mafieux vu tous les ténors qu’on a pu avoir dans l’histoire du cinéma, mais rien de mauvais non plus et il le dit lui même en interview qu’il a essayé de ne pas imiter Marlon Brando ou Al Pacino, qu’il cite explicitement, mais qu’il n’est pas sûr d’avoir vraiment réussi.


De toute façon, ça se rattrape du côté de l’ambiance russe que le film met en scène pour enrichir les moments où l’on doit ressentir ce monde mafieux russe très particulier qui permet au film de se dégager une forte identité. Ces cérémonies très fastueuses, faisant écho à une certaine noblesse bien particulière qui renforce le sentiment d’un monde à part, avec par exemple le monde des arts, notamment celui de la musique parfois intra-diégétique, c’est-à-dire qu’on voit le musicien jouer la musique que l’on entend. Cette dernière, composée par le collaborateur récurrent de Cronenberg : Howard Shore, est particulièrement efficace pour appuyer la mélancolie des scènes où la voix-off de Tatiana si douce entre en contraste brillant avec les horreurs qu’elle décrit.


Mais l’autre aspect qui illustre cette ambiance c’est bien sûr celui qui a été retenu pour l’affiche : les tatouages. Si ces derniers font badass de façon assez simpliste, ils ont surtout une signification dans le récit en se basant sur une réalité faisant que les criminels russes peuvent voire leurs faits marquants gravés à vie de cette manière. On a un petit aperçu dans le film de ce que ça peut signifier et de l’importance qu’ils peuvent y accorder, ne serait-ce que pour se distinguer dans la hiérarchie d’un coup d’œil, mais c’est aussi marqué par un symbolisme très fort sur bien des aspects.


Au niveau de l’écriture, puisqu’il s’agit tout de même d’un thriller, la subtilité des dialogues pour amorcer juste comme il faut des retournements de situation bienvenus n’est pas non plus une nouvelle référence pour le genre mais permet pour moi au film de s’inscrire parmi ses plus belles représentations. Je me suis laissé d’abord surprendre au premier visionnage par deux twists assez importants alors que j’ai trouvé ça parfaitement logique et compris certaines scènes différemment lors de mes visionnages suivants.


Néanmoins, la fin arrive de façon un peu abrupte et certains événements assez importants ne sont pas montrés à l’écran, la dernière mise en danger se conclut très vite, et on sent bien que si le film se suffit à lui-même, Cronenberg avait voulu se laisser la possibilité d’une suite directe qui aura beaucoup de mal à voir le jour. C’est un peu dommage dans un sens mais le fait de rester sur sa faim et d’en demander encore plus, d’être dégoûté d’être plongé dans une attente longue et incertaine de cette suite, ça montre bien que le film a été plus, à un moment ou à un autre, qu’un film qu’on regarde avant de passer à un autre.


Pour en revenir à la réalisation en elle-même, il est notable que même les films mafieux comptant sur leur ambiance ou leur écriture cèdent souvent la place à des scènes d’action explosives que Cronenberg préfère éviter ici. L’action se place clairement en retrait pour un fort impact lorsqu’elle survient et même quand elle arrive, elle sert plus à revenir à cette mise en scène très austère de la violence que je décrivais plus tôt. La fameuse scène dans les bains publics en est l’exemple le plus parlant puisque l’absence de musique marquera d’autant plus les sons provoqués par les coups et les gémissements, l’absence de tenue de Nikolaï va forcément appuyer cette austérité...


D’ailleurs, la nudité et le sexe sont également traités de façon assez particulière dans le film, complètement séparés du concept d’amour. Il n’y a pas un seul rapport sexuel ou une seule scène nudité qui puisse se rattacher à de l’érotisme ou de l’affection, c’est cru, c’est désincarné, c’est très radical comme parti pris et c’est tant mieux. Quand on sait que le film parle de proxénétisme et de viols, y compris sur mineurs, on peut craindre soit une censure politiquement correcte, soit certaines scènes racoleuses très dérangeantes, le choix opéré par Cronenberg permet à mon sens d’éviter de tomber dans l’un de ces 2 écueils tout en effleurant également le sujet de l’homosexualité ou encore du patriarcat.


David Cronenberg réalise là le film que je lui préfère avec ce thriller violent au récit intelligent, captivant et émouvant porté par un duo Viggo Mortensen / Naomi Watts absolument grandiose. L’ambiance mafieuse est très bien retranscrite et parvient à s’inscrire honorablement dans les grands du genre. La qualité d’écriture du thriller est très maîtrisée avec des twists bien pensés et bien amorcés, des propos intelligents en fond... La réalisation dans son ensemble sert bien le tout en puisant dans ce que je peux préférer dans les caractéristiques habituelles du travail du réalisateur. Les promesses de l’ombre sont belles, et l’enfer dans lequel elles aboutissent ne permettent pas d’en ressortir indifférent.

damon8671
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le 27 janv. 2019

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damon8671

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