Le seul film m'ayant donné envie de mettre à jour une vieille critique. C'est dire le chef d'oeuvre

Je ne vais surement pas faire preuve d’originalité en disant que je considère à l’heure actuelle Akira Kurosawa comme le plus grand réalisateur du 7e art, ou plutôt, pour faire moins péremptoire, comme la réalisateur pour qui j’ai le plus d’admiration.
De même pour moi Les 7 Samouraïs constitue le sommet de son art tant il me parait la cible d’aucun reproche, d’une perfection chirurgicale du début à la fin.
Alors oui, l’histoire en elle même n’a rien de bouleversant, l’action se passe en 1586, une bande de paysan sujette régulière à des raides de brigands de grands chemins décide cette fois ci de faire appel à des samouraïs pour se défendre. Mais pourquoi faire compliquer quand on peut faire simple et bien ?
Le film se divise ainsi en trois parties, d’une part la recherche des différents samouraïs, la préparation des villageois face au futur raid des vandales et enfin l’attaque en elle même, le tout étant brossé avec une minutie tout bonnement stupéfiante, chaque étape étant décrite de façon détaillée (on compte même le nombre de morts sur une "feuille" pardi!), montrant bien le côté tactique et stratégique d'une telle entreprise, au contraire de nombreux films misants tout sur l'affrontement physique, et ce dernier bien sûr présent est aussi concerner par cet aspect analytique rendant les combats encore plus stimulants à regarder. La dernière phase de l'assaut peut d'ailleurs être vue comme la démonstration de la grandeur du film, de toute beauté, tant du point du vue du montage que du découpage de chaque scène, tant le côté chirurgien du réalisateur nippon se trouve ici mis en lumière. Le raide finale, sous un torrent d’eau étant assez impressionnant, et encore plus quand on connait les conditions de tournage.
Une chose que maitrise à merveille (entre autre) Kurosawa dans ce film est le rythme, tout étant parfaitement équilibré, chaque séquence semblant durer exactement le temps nécessaire, ni trop court, ni trop long. Ceci explique donc la vitesse avec laquelle se déroule le film, le spectateur ne voyant tout bonnement pas passer les heures et souhaitant même (enfin là j’évoque ma modeste personne) qu’il se prolonge encore et encore. Finalement, 3h30 ça peut passer à une vitesse folle ...

Comme c’est souvent le cas avec le cinéma japonais, ou en tout cas d’après le peu de films de cet attirant pays que j’ai pu voir, du film se dégage une certaine dimension sociale. Ceci est parfaitement visible par l’opposition entre différentes classes (?) de la société nippone de l’époque, entre les samouraïs (bien qu’il s’agisse plus ici sans doute de Ronins, mais c'est pour le principe) et les paysans. Deux classes si proches et pourtant si lointaines, tant l’une est vue par l’un avec crainte et respect (immodéré) et à l’envers par aversion et supériorité, parfaitement illustré par un samouraï outré de la demande des paysans.
D’ailleurs, Kurosawa, à travers le personnage de Kikuchiyo et son monologue chargé d'émotion met en avant une certaine neutralité, chaque classe étant la cible de ses critiques, ni les paysans ni les samouraïs n’étant au dessus de tout reproche, certains peureux, cupides et par certaines aspects hypocrites tandis que les autres peuvent être vus comme violents et pilleurs, et dans le cas présents arrogants, et donc finalement pas si différents des simples malandrins. Il n'y a pas les bons paysans et les mauvais samouraïs, personne ne peut se draper des oripeaux de la vertu, des deux côtés il y a des défauts et des qualités. Le monde est gris, pas noir ou blanc.
Pour autant, il est tout de même touchant de voir les relations qui se nouent et évoluent entre ces personnes de deux mondes différents, les uns ayant finalement une influence positive sur les autres, comme ces paysans s’enhardissant pendant le combat, mettant de côté leurs peurs (légitimes) de l’affrontement et combattant avec conviction et détermination, comme l’illustre le trépas de ce paysan qui même au seuil de la mort clame qu’il a bien « tenu sa position ». A noter aussi le personnage de Kikuchiyo incarné par le superbe et charismatique Toshiro Mifune créant une sorte de passerelle entre les deux mondes, des connexions entre les deux classes, « samouraï » venu d’une famille de paysan et sans doute le personnage le plus attachant du film, de part son énergie, sa fougue, sa détermination, son panache, sa drôlerie (parfois involontaire). Bien entendu, ses autres compères ne sont pas en reste, entre le maitre du sabre mutique, le vieux sage calculateur et stratège et le jeune padawan, il y a vraiment de tout et l’ensemble de l’équipe est vraiment complémentaire.

On parlait justement d’humour, et un autre grand trait du chef d’oeuvre d’Akira Kurosawa est la présence d’une palette d’émotions et de sentiments très large dans les 7 samouraïs. Le film est parfois humoristique, rempli et débordant de joie, notamment par la présence de ce boute en train de Kikuchiyo et des autres personnages hauts en couleur, mais il y a aussi de l’amour entre le jeune samouraï et une paysanne (mais qui ne franchira pas la barrière des classes), encore et surtout une certaine tension dramatique tout au long du film, notamment par la mort successive et régulière de samouraïs ainsi que de paysan. Et on peut même dire que les 7 samouraïs reste un film sérieux avant tout, et ceci est très clairement perceptible lors de la dernière séquence du film, montrant encore une fois la ligne de séparation entre les deux classes évoquées précédemment, tout en opposition, entre d’un côté les paysans heureux de leur victoire contre les bandits et célébrant ce succès avec entrain alors que la joie elle n’est point présente du côté des samouraïs, et comme le dit le personnage de Shimada « encore une fois c’est un combat perdu. Les paysans sont les vainqueurs. Pas nous ». Comme si en définitive, les samouraïs étaient la classe de l’éternel désillusion, se battant, mourant, mais finalement, jamais pour son propre compte.


Voilà juste quelques modestes mots pour un immense chef d’oeuvre (pléonasme ?).

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le 15 janv. 2015

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