Les Yeux jaunes des crocodiles par BibliOrnitho
Isis (Emmanuelle Béart) et Joséphine, dite "Jo" (Julie Depardieu) sont frangines. Deux soeurs aux antipodes l'une de l'autre. Plus dissemblables tu meurs ! Isis est très belle. Elle a les hommes à ses pieds. Chouchoute avérée de Maman, elle a toujours eu le dessus sur sa cadette. Oisive, elle aime se laisser vivre et être admirée. Jo, elle, est effacée. Elle n'a aucune confiance en elle malgré son succès dans tout ce qu'elle entreprend : chercheuse en Histoire médiévale au CNRS, elle est brillante et besogneuse. Malgré ses qualités évidentes, Maman l'a toujours repoussée, critiquée, entourée d'un doux mépris moqueur.
La première moitié du film est lente, fade, insipide et n'a d'autre ambition que de nous présenter le monde qui sépare les deux soeurs quadragénaires : leur vie, leur rythme, leur mari, enfants, amis. La vision qu'on "les autres" d'elles. Une première partie qui n'en finit pas et que j'ai trouvé longue et peu intéressante. Je commençais à me demander où tout cela allait nous mener (je n'ai pas lu le livre de Pancol) quand, à mi-parcours, le film prit de la consistance.
Isis abusait son entourage (à l'exception de Philippe son mari, campé par Patrick Bruel) mais ne se faisait aucune illusion sur elle-même. Elle mesurait parfaitement le vide de sa vie, l'ennui profond dans lequel elle était englué. Ses essais d'écriture (sa passion) avaient toujours été vains. Pourtant, pour faire son intéressante, elle se vanta au cours d'une soirée d'écrire un roman. Un ami éditeur qui était alors à la même table prit l'annonce pour argent comptant. Flattée, Isis signa avec lui un contrat et se trouva brutalement au pied du mur. Son inconséquence habituelle venait, cette fois, de lui jouer un tour pendable.
Comme il n'était plus question pour elle de reculer ni d'avouer le ridicule de sa situation, elle convainquit sa brillante petite soeur d'écrire le livre à sa place - et de n'en parler à personne : petit secret entre elles deux, croix bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer. La fourmi trouva que la cigale la prenait décidément pour une gourde et qu'il y avait de l'abus. Pourtant elle accepta de lui sauver la mise et s'attela à cette nouvelle tâche (en plus de toutes les autres qui emplissaient déjà largement son existante). Elle écrivit le bouquin que son aînée vampirisa aussitôt et signa. Ce fut un succès immédiat en librairie. Isis se révéla alors au grand jour : elle se prit immédiatement pour une grande star, interviews, photos de mode, plateaux télé...
Jo en fut écœurée. Tout comme Philippe qui, connaissant bien sa femme, devina immédiatement le petit arrangement. La seconde moitié du film fut plus intéressante. Les personnages prirent leur essor, acquirent de la profondeur. Le feu qui avait longtemps couvé a finalement réussi à prendre. Cécile Teleman filma alors les relations fausses entre les deux soeurs, les sentiments et réactions de leur entourage selon que les personnages étaient abusés par l'embrouille ou conscients des vrais rôles tenus par Jo et Isis. Le mépris, les médisances, les jugements hâtifs, l'attrait de l'argent, de la renommée, de tout ce qui brille, les désillusions... Une dernière heure plus complexe qui rattrape en grande partie l'inertie de la première.
Au final, un film agréable qui se regarde avec plaisir. Et une belle prestation de Patrick Bruel que je trouve très juste dans le costume de son personnage.