En 2003, Gore Verbinski portait avec le premier volet de Pirates des Caraïbes la première pierre à un édifice aujourd’hui presque normalisé dans le monde du blockbuster : un film aux allures foraines mêlant le plaisir avec un message adaptable à tous, emmenant familles et cinéphiles à se joindre à la fête. Problème est, en abandonnant le navire après un troisième épisode annonçant déjà le chaos artistique à venir, Gore Verbinski semblait ne plus trop savoir raconter et patinait autant qu’émerveillait par la tenue de son Rango. Le réalisateur américain aime les personnages torturés mais ne les a jamais aussi bien traités que lorsqu’il n’était pas suppléé par Disney. Comme le soulignait le troisième Pirates des Caraïbes, ode à la gloire d’un Jack Sparrow qui n’avait jamais été aussi peu présent, Verbinski ne traitait le caractère quasi-schizophrénique du personnage que de surface à travers quelques scènettes dont l’intérêt était variable.

Avec Lone Ranger, le cinéaste joue sa peau en réanimant le western sous l’écurie Disney. L’échec commercial d’un tel film paraît alors finalement évident puisqu’à travers son nouveau film le cinéaste interroge le paradoxe et ambiguïté de son style pour créer un film hors du temps et qui s’échappe vers des contrées plus surréalistes comme pour fournir un plaisir dans la durée, ce qu’était incapable de faire la saga des Pirates des Caraïbes. En près de deux heures et demi de métrage, Verbinski dévore le genre avec un plaisir communicatif, enchaînant facétie après facétie tous les tics et attitudes de la mécanique. Directement, le visage d’Armie Hammer inspire la confiance et son rôle d’homme de loi naïf semble avoir été taillé pour lui. Le grand et fort châtain changeant qu’il est permet, à lui seul, de souligner l’aspect généreux du nouveau film de Gore Verbinski. Au travers d’un regard burlesque, Lone Ranger se veut comme un plaisir instantané de visionnage, un film fait pour charmer son auditoire et dont le discours, politisé, se retrouve finalement un peu écrasé par la masse imposante du métrage. Moins de seconds rôles pour plus de séquences fortes. Une volonté d’épouser, d’appréhender deux sortes de film : le western classique à la comédie burlesque, de manière grandiose et à l’allure presque mythique.

Les séquences ne manquent pas, dont la dernière qui tient toutes ses promesses, exercice de destruction massive où la construction de celle-ci s’agrée parfaitement avec le cadre ferroviaire. Répétant l’Overture de William Tell comme pour mettre un rythme constant dans la structure des scènes, Lone Ranger est exaltant bien que dénué de toutes émotions pures. Verbinski a beau traité le génocide des Indiens avec un sérieux et un regard assez misanthropique, son film manque d’enjeux personnels réels et d’une empathie toute en phase à l’émotion, ou du moins permettant de toucher le spectateur. Tout cela est caractérisé à travers une unique scène, loin d’être ratée pourtant, dans laquelle la personnalité de Tonto est mise en abyme. Cruelle bien que noble, son incrustation dans le montage, en pleine baisse de régime, n’apparaît que tel un contretemps dans le planning incessant du film. Mais aussi, avec plus de cohérence, elle puise ses sources dans le cinéma de Verbinski en lui-même, interrogeant la nature de l’Homme et cette barrière entre le récit et le réel. A plusieurs reprises, le récit de Tonto apparaît alors comme le fruit de son imaginaire et il se retrouve rattrapé par une forme de réel, l’Histoire que l’homme a gravée dans le marbre.

Étrange cohésion alors entre Johnny Depp et son personnage, dont les traits fatigués témoignent d’un acteur rattrapé par un personnage et qui tente de casser le ton pour ainsi emporter son personnage vers une grandeur plus belle encore. Pari gagnant puisqu’en mêlant le comique de gestes et le sarcasme constant dans sa voix, Johnny Depp balaye ce vent insupportable, alambiqué qui pesait sur son ancien personnage. Un personnage comme Jack Sparrow qui s’était étiolé jusqu’à ne plus rien raconter du tout.

Lone Ranger, dans son introspection mythologique et drolatique du western grandiloquent du Hollywood old-school, présente aussi un ton plus grave sur les Etats-Unis et son colonialisme. Paradoxe apparaissant entre un discours progressiste contre le regard ultra-conservateur du producteur Jerry Bruckheimer – dont les productions ont un peu perdus de leur éclat –, Lone Ranger est aussi ce film déstabilisant auquel les difficultés rencontrées durant le tournage semblent avoir forgé son empreinte. Film d’ampleur dont les chevauchées gracieuses forment un tout cohérent, le nouveau film de Verbinski instaure un nouvel modèle de film, dont l’enchevêtrement entre la partition morriconienne d’un Hans Zimmer enfin dans le bon et les ambitions démesurées affichées au gré d’une photo monochromatique forment un tout bazardesque mais cohérent, foisonnant et en accord avec son époque et les personnages, hauts en couleur, qu’il présente.
Adam_O_Sanchez
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le 14 août 2013

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Adam Sanchez

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