Comptant parmi la fine fleur du cinéma sud-coréen, Park Chan-wook s’illustre encore une fois avec Mademoiselle, un thriller étiqueté « cérébral » adapté d’un roman britannique : l’intrigue originale se voyant ainsi déplacée dans un environnement plus familier du cinéaste, à savoir le contexte d’une Corée occupée par son voisin nippon (années 30), le long-métrage fait d’emblée montre d’un souci de transposition pertinent... et surtout réussi, quoique perfectible.


Empreint d’une réputation conséquente, je me serai pourtant trompé en partie sur son cadre d’action, celui-ci n’ayant rien du huis-clos oppressant que j’entrevoyais : là est d’ailleurs une première piste de « reproche » à lui adresser, Mademoiselle ne capitalisant pas vraiment sur l’hybridité notoire du domaine de Kouzuki, pourtant éloquent en ce qui concerne les prétentions d’une trame faussement linéaire. Cette tangente matérielle (occidentale/japonaise) s’inscrit en ce sens dans une logique « duale » ambiante, le prisme politique d’époque (comme évoqué plus haut) jouant le rôle de toile de fond là où le rapport des sexes va rythmer un déroulé généreux.


Pour en revenir à ce manoir multi-facettes, celui-ci incarne à mon sens le « raté » atmosphérique (tout relatif) de Mademoiselle, alors bien en peine d’instaurer un climat dérangeant : un état de fait aux portes du paradoxe tant le film aligne nombre d’éléments probants, telle la folie latente d’un Kouzuki ou la fausse naïveté d’une Hideko troublante. Mais peut-être que là n’était pas le propos d’une trame à tiroirs, dont la narration découpée en trois actes n’aura de cesse de redistribuer les cartes : mené par le bout du nez, le spectateur flairera pourtant que la réalité montrée est toute autre, à l’aune de décalages presque comiques, d’une atmosphère saugrenue et d’un montage appuyé.


Le prisme saphique que revendique pleinement Mademoiselle, marque d’une imagerie érotique ici savamment dosée comme cadrée, abonde également dans le sens d’une démarche toute autre : car si Park Chan-wook se fait l’artisan d’une mise en scène au cordeau, et que la reconstitution d’époque est aux petits oignons, l’immersion tient davantage de « l’union » surprenante de l’escroc maladroite et sa riche maîtresse. Là où la première partie du long-métrage pouvait frustrer dans l’absolu, la faute à un dénouement anticipé prévisible et une trame de prime abord brouillonne, la suite lèvera ainsi le voile sur les véritables prétentions du tout, chose que l’envers sexuel incarnée par nos deux héroïnes en herbe laissait entrevoir.


Sans céder aux retournements de situations à outrance, les deux actes s’ensuivant démontrent donc de toute la richesse de l’œuvre, cette ode à un amour émancipé d’un carcan pernicieux, misogyne et normatif, en traduisant fort bien la réjouissante teneur... au contraire d’une première incursion tenant du trompe-l’œil sur toute la ligne. Du devenir grotesquement macabre du Comte Fujiwara, pris à son propre jeu mais flegmatique et élégant jusqu’au bout, à la libération de ces deux âmes éprises l’une de l’autre, Mademoiselle réalise la prouesse de se parachever à petit feu : la fuite de ces dernières constituent d’ailleurs ce qui s’apparente à la plus belle séquence de Mademoiselle, la mise à sac d’une lubrique bibliothèque et « l’éloge » remuante d’Hideko à l’égard de sa « sauveuse » confinant au jubilatoire revanchard/touchant.


Artistiquement délectable, le film surprend donc en bien sur le fond, n’en déplaise à des limites sporadiques mais tangibles ; porté de bout en bout par un casting aussi investi que convaincant, Mademoiselle de Park-Chan-woo vaut donc largement le coup d’œil... au risque de se le rincer parfois, mais le vernis érotique de ses séquences iconiques ne saurait occulter la force de son intrigue, chose dont il est finalement une partie-prenante élémentaire. L’ultime ébat d’Hideko et Sook-Hee en dit long à ce sujet.


L’étoile supplémentaire... est méritée.

NiERONiMO
9
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le 12 janv. 2019

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NiERONiMO

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