Mank
6.3
Mank

Film de David Fincher (2020)

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J'aime le travail artisanal dans un film ; pourtant je dis toujours, en dessin, que c'est le résultat qui compte, tant pis si le dessinateur a dû décalquer pour arriver à un résultat réaliste convaincant. Je ne sais pas pourquoi je ne suis pas plus indulgent avec le cinéma. Peut-être parce que l'effort est plus payant ? Jusqu'à maintenant je n'ai encore trouvé un film d'horreur avec CGI capable de me fournir autant de textures dégueulasses qu'un bon vieux The Thing par exemple. Mais bon, je crois que ce qui me gêne surtout, c'est par rapport au concept prôné par Fincher : faire un film à l'ancienne ! Ha oui ? Avec autant d'effets numériques par plan ???


Parce que oui, à l'époque, le réalisateur plantait sa caméra dans un décor et filmait. Bien sur le chef décorateur s'occupait de la déco, l'on pouvait également reconstruire une rue en studio ou peindre un fond pour donner l'illusion qu'une scène se déroule en pleine campagne et non près d'une ville et vice-versa. D'après les vidéos lâchées sur le net pour montrer le travail effectué par Fincher et son équipe, il semblerait que le bougre pose sa caméra dans un décor soigné (et travaillé) mais qu'au lieu de bien faire les choses en vrai, ils laissent des 'trous', des plafonds vides, des murs vides, des bâtiments en fond de plan, et retravaille le tout en post-prod : on habille les décors, on supprime l'indésirable, on le remplace éventuellement par autre chose. L'effet fonctionne : Fincher habille discrètement son fond, surtout ici avec son noir et blanc (mais c'était déjà bien foutu avec "Zodiac"), de ce fait, impossible de deviner ce qui est vrai et ce qui est faux de son propre chef. Et puis c'est utilisé dans le but de renforcer les différentes atmosphères, donc ce n'est pas un effet gratuit... Mais je reste déçu. Pour moi ça 'na rien à voir avec un film des années 40, la méthode diffère bien trop.


D'ailleurs même le résultat ne donne pas l'impression de voir un vieux film. Oui pour les ombres et le noir et blanc, ... et encore on sent bien que les contrastes ne sont pas abordés de la même façon. Mais c'est flagrant avec la photographie, le découpage et le montage ! La photographie est bien trop contemporaine à quelques exceptions près, le découpage est pensé comme un film aujourd'hui à quelques exceptions près, le montage pareil... ces scènes qui font exceptions fonctionnent bien mais alors on repense aux effets numériques. Il ne reste donc rien de cette époque à laquelle Fincher souhaite rendre hommage.


Mais est-ce si grave ? C'est dommage d'avoir misé la comm' là-dessus, je trouve, parce que le film n'en avait pas besoin du tout. La photographie telle qu'elle est, est très jolie, le découpage est efficace, le montage est dynamique. Cela n'a rien à voir avec les vieux films, c'est juste un film de Fincher bien foutu visuellement. Niveau sonore non plus rien à voir ; on ne retrouve pas les grésillement, les échos, les grains de voix, à une ou deux exceptions près. Mais ça marche, c'est même mieux, il faut vivre avec son temps.


La BO m'a refroidi. On retrouve des morceaux un peu jazzy, certains qui auraient bien collés à l'époque, d'autres qui sonnent également très contemporain ; il faudrait vérifier s'il y a des titres composés pour le film ou si tout a été repris de l'époque, m'est avis qu'il doit y avoir un peu des deux... ou plutôt beaucoup des deux ! et c'est là le vrai souci : que de musiques dans ce film ! Cela n'arrête pratiquement pas ! Et quand les personnages parlent enfin sans interventions musicales, vous pouvez être sûr que ce ne sera que de courte durée et qu'avant la fin de leur dialogue, un morceau sera lancé. Les morceaux ne sont pas mauvais, mais je ne les ai pas toujours trouvés bien choisis. Disons qu'ils rythment le film, donnent l'impression que tout va encore plus vite que ce que les images veulent nous faire croire.


Les acteurs sont excellents. Bien sûr, c'est Oldman que l'on retiendra le plus, en même temps tout le film tourne autour de son personnage, il est le seul à pouvoir offrir des performances ; mais en plus, son personnage est tourmenté à souhait et excentrique ce qui ouvre le champ de possibilités de l'acteur. Ceci dit, les acteurs secondaires n'ont pas à rougir de leurs prestations : certes ils doivent rester derrière Gary, mais ils insufflent malgré tout de la vie à leur personnage. Je dirai que seul celui qui campe Orson Welles a un peu de mal à s'approprier le rôle, c'est assez mécanique.


Le scénario est assez riche et dense. Un truc à la Tarantino en fait, où ça site constamment des autres films que ce soit au travers de dialogues évasifs ou de scènes-hommages. C'est très intéressant pour un cinéphile mais soyons honnête : quelqu'un qui n'est pas un amoureux du cinéma et en particulier des films de l'époque dont il est question, passera à côté d'une bonne partie du film, peut-être même que la compréhension de l'intrigue principale lui sera moins facile à cause des allusions qui demandent un certain bagage culturel. Heureusement, il y aura toujours un dialogue pour rappeler les enjeux, expliquer ce que l'on vient de voir, résumer l'important... mais comprendre le film de la sorte est forcément moins jouissif.


Le récit est construit sur le mode du flashback, un procédé narratif auquel j'adhère assez peu. Et qui révèle d'ailleurs ses faiblesses. Car on constate deux récits principaux : la chute de Mank et sa résurrection. Et le fait d'entremêler les deux amène à cette fin où le héros reprend goût au combat (et souhaite avoir son nom au générique alors qu'il avait accepté ce poste plus pour ses soucis économiques et le besoin de travailler que pour redorer son blason), sauf qu'on ne comprend pas en quoi nous faire découvrir la chute peut amener le personnage à évoluer ? Car c'est le lien qui est créé en alternant ces séquences, alors qu'en regardant le tout dans l'ordre on pourrait croire que c'est simplement le fait d'écrire qui redonne goût à la vie au scénariste et que ce n'est qu'en constatant qu'il a fait un bon boulot qu'il souhaite son nom au générique.


Hormis cela, j'ai apprécié le scénario. Les personnages sont intéressants, surtout Mank, sa chute est bien écrite et son retour dans le game aussi. De plus, de par la caractérisation du héros et de personnages secondaires, les conflits abondent, car les personnages se tirent souvent dans les pattes. Les résolutions sont bien dosées. L'on notera aussi les points communs entre ce film et "Citizen Kane" (mais à nouveau, il faut avoir connaissance du film pour cela).


Bref, un film fortement intéressant. Ce n'est clairement pas un film des années 40, c'est même très contemporain comme manière de revisiter le passé, mais c'est bien foutu globalement.


Et d'ailleurs, c'est un film tellement contemporain qu'il parle de notre époque. Déjà on sent un côté méta dans la défiance faite à Hollywood puisque Fincher est parti faire son film chez Netflix. Mais aussi on sent que le bonhomme n'est pas à l'aise avec la bienpensance actuelle, et que la rébellion de son personnage, c'est aussi par rapport à ce monde de plus en plus idiot, en tous cas c'est ainsi que j'ai ressenti certaines scènes.

Fatpooper
7
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le 13 janv. 2021

Critique lue 137 fois

4 j'aime

Fatpooper

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