Mariage Story est l’histoire d’un divorce. Comme dans la vraie vie, on ne s’y attend pas toujours, même si certains signes tentent de nous alerter. On découvre une autre personnalité chez notre partenaire, celui ou celle qui a partagé notre vie depuis tant d’années, et qu’on pensait connaître.
La force de ce récit, c’est qu’il puise dans le réel, il ne cherche jamais à « faire cinéma » à travers l'artificialité de beaux plans. On ne nie pas les remarques blessantes lancées sans but précis, les engueulades brutales de vérité comme un coup de poing envoyé à la gueule des spectateurs, la réalité fracassant projets présents et futurs. Le film s’attaque à cette séparation à bras le corps, en suivant le point de vue des personnages, Nicole et Charlie Barber (Scarlett Johansson et Adam Driver, tous les deux au naturel, « vivant » leur rupture sous nos yeux). Ils tentent de définir ce que fut leur vie, et ce qu’elle sera à présent.
La réalisation ne prend pas parti et ne cherche pas à prendre la défense d’un plus que l’autre. Le film commence d’ailleurs sur les protagonistes énonçant les points positifs de leur partenaire. Ils énumèrent ce que chacun apprécie chez "leur moitié", lors d'une séance de médiation psy, comme s'ils cherchaient à se souvenir des meilleurs moments passés ensemble, avant de passer aux choses sérieuses.
« On n’avait dit pas de divorce. » Voilà, seulement, les choses ont changé, on ne peut plus prendre les mots de l’autre pour argent comptant. La confiance est rompue. Nicole se rend très vite chez une avocate (Laura Dern, en mode Big Little lies, brillante), sous le conseil d’une nouvelle collègue. Scarlett Johansson s’exprime alors dans un très beau monologue, les traits tirés, larme à l’œil, mais le sourire aux lèvres. Comédienne également dans le film, elle parle de ses envies professionnelles réfrénées par le succès de son mari, metteur en scène de théâtre à New-York. Elle a l'impression de perdre sa part d’individualité pour combler celui-ci, alors qu’il ne la remarque plus. On apprend qu’il la trompe avec une autre actrice. Elle va pouvoir enfin vivre sa vie, telle qu’elle le souhaite, et non avec et pour quelqu’un qui l'invisibilise.
Son artiste de mari va devoir engager des avocats (Ray Liotta, Alan Alda, impeccables de violence cynique pour le premier et de résignation feutrée pour l'autre), sous peine de perdre la charge de son fils. Dans ses démarches, Charlie n’arrêtera pas de dire : « Oh, non, vous savez, ma femme n’est pas du genre à me faire ça », à chaque fois qu’on lui énonce des actes que Nicole aurait pu/pourrait entreprendre pour l'empêcher de garder son fils. Le spectateur sait et comprend que Charlie a en tête une version de son ex-femme qui n’est plus actualisée. Il veut rester ami, et elle aussi d’ailleurs, mais les coups bas vont commencer à pleuvoir, les avocats enclencher un processus dévastateur, image d'une certaine culture américaine domptée par l'argent facile des procès à tout-va et autres imbroglios judiciaires. La bataille juridique est engagée.
Marriage Story est un film d’acteurs. Noah Baumbach leur laisse le champ libre pour témoigner leur désarroi. Le montage ne vient pas les couper dans leurs idées, ou n’est pas au service trépidant d'un storytelling autoritaire. Le film est parcouru de belles scènes qui ne sont pas sur-écrites, qui laissent aux personnages la possibilité de s’exprimer, de parler de leurs émotions, de ce qu’ils souhaitent et ne veulent pas ou plus. Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup d’autres musiques que celles des mots. Le rythme du film provient de leur mise en bouche par ces acteurs et actrices habités, et de leurs corps en mouvement.
La caméra les suit, sans réelle envie de créer de beaux plans, tout en ne poursuivant pas non plus une esthétique réaliste et documentaire crade et tremblotante. La base est stable, le réalisateur sait ce qu’il veut raconter, l’histoire de la fin d’un mariage. On aimerait que cela se passe en douceur et sans violence, mais la réalité de la vie vient toujours nous rattraper.