Une des plus belles scènes du cinéma : les regards échangés par Bonnie & Clyde
réalisant que la mort vient les faucher.
Aucun film, aucune chanson, aucun Je-t'aime, n'a aussi bien scellé dans l'instant précédant le Grand départ toute la désespérance de l'adieu...
Cinquante-deux ans après le chef d'œuvre d'Arthur Penn, un autre moment filmique d'une trempe similaire : la fermeture d'un lourd portail en bois poussé par une Nicole (S. Johannson) et un Charlie (A. Driver) aux abois, sur le point de mettre un terme à leur vie commune.
Ils sont certes les initiateurs de ce moment si pesant, ils l'entretiennent (procédure judiciaire en cours) mais tout en sentant qu'il leur échappe, que la laideur de la situation (rancœur, accusations, insultes...) n'est pas totalement de leur fait.
Elle : The thought of having sex with you makes me want to peel my skin off. (...)
Lui : Every day I wake up and I hope you're dead !
Et pour cause, Nicole et Charlie sont à la merci d'avocats dont le seul projet existentiel semble "la gagne" et dont les missions professionnelles consistent par conséquent à faire triompher leurs arguments et leur$ client$.
L'objectif du dernier film de de Noah Baumbach est d'ailleurs double : mettre en scène un couple qui se déchire (parfois à son corps défendant, donc) et dénoncer la toute-puissante rapacité des avocats.
Leur désir de victoire absolue (donc, de facto, de destruction d'un couple encore 'sauvable') est tel que Noah sera obligé de virer son premier avocat --- Alan Alda, qui sucre les fraises ---, trop intègre, trop humain. Face à la panthère Nora (Laura Dern, remarquable), il faut un tueur ; ce sera l'inquiétant Jay Marotta.
Cet amusant patronyme porté ici par... Ray Liotta tend à montrer que l'intrigue de Marriage Story ne se cantonne pas à la souffrance de cette famille (Nicole + Charlie + Henry, leur jeune fils) ; l'humour est en effet très présent (facéties de la belle-mère, remise de l'enveloppe, visite de l'assistante sociale*...), tout comme quantités d'aspects du quotidien --- et même de faits et gestes anodins (Nicole qui urine, l'avocat qui ramasse une miette du bout de l'index, l'assistant de Marotta qui se mouche au tribunal...).
Noah Baumbach, afin de mieux souligner la déflagration que peut constituer le divorce, prend le parti de ne pas nous maintenir dans la glaciale procédure, mais de mettre en scène la trivialité :
-- pour que l'on saisisse mieux l'onde de choc : la vue distanciée d'une déferlante donne une meilleure idée de son impact potentiel que si l'on surfe sur elle.
-- pour que l'on se rende compte que les actes journaliers peuvent, sous la vilaine patte des avocats-fossoyeurs, être versés au dossier et se retourner contre nous (le pinard de Nicole, les retards de Charlie, etc.).
Noah Baumbach ne distribue cependant pas de points et ne nous pose pas en arbitre : le spectateur fait la connaissance avec le couple alors qu'il est en train de se séparer ; nous ne l'avons pas vu vivre ; nous ne sommes pas à même de le juger. Les manquements de l'un.e (!) et de l'autre ne servent nullement un quelconque dressage de bilan avec mise au passif ou à l'actif de tels ou tels comportements : il s'agit bel et bien, en priorité, de mesurer la laideur de l'immixtion des gens de Loi au cours de la procédure de divorce.
Expérience vécue
On pourra reprocher au réalisateur de revenir sur un sujet qu'il a déjà traité (The Squid and the Whale --- le titre français est si lamentable que je n'ose l'employer --- 2005), de ne pas s'être intéressé au sort d'individus plus communs (Charlie est un dramaturge à succès et Nicole une actrice en vue) ; seulement voilà, Baumbach s'inspire de son divorce avec Jennifer Jason Leigh {{ actrice que j'aime beaucoup, tout particulièrement dans Rush et Georgia }} et manifestement, il garde une belle dent contre le barreau...
En plus de ce qui paraît être du ressentiment (très fécond), Baumbach s'appuie sur des acteurs étonnants (et pas uniquement les deux rôles principaux). Lui reprocher, comme je l'ai lu ici, de s'en sortir grâce à eux, c'est non seulement oublier que ces acteurs c'est lui qui les dirige, mais c'est aussi passer totalement à côté de son travail sur les plans.
La séquence du tribunal est admirable : Baumbach se contente d'abord de ne montrer que les deux équipes alignées, puis, au fur et à mesure que les détails sordides sont étalés, il opte pour des gros plans sur Nicole et Charlie, traqués, victimes du voyeurisme. La caméra prend enfin le large pour nous montrer que le déballage de leur intimité s'est effectué devant de parfaits inconnus assis derrière eux. L'écœurement est complet.
Marriage story est un drame flamboyant puisant son réalisme dans la douleur personnelle et sa sincérité dans une veine tragi-comique époustouflante.
* Ai lu sur SC que lors de cette visite Charlie se "tranche" le bras. J'ai quant à moi vu un Charlie qui s'entaillait le bras...