Un film autobiographique à la Martin Scorsese. Avec Harvey Keitel, Robert De Niro. Coup de maître...

Depuis quelques années, des cinéastes passent devant mes yeux et mes oreilles. Ont ainsi été décryptés Georges Méliès, François Truffaut, Jean Cocteau, Luis Buñuel, Claude Sautet, James Gray et Paul Verhoeven (de leur carrière, je n’ai visionné, pour chacun, que quelques films, un tant soit peu ‘marquants’). En cette nouvelle année, je m’attaque à l’inattaquable : un mythe vivant salué unanimement par la critique. Un réalisateur tournant régulièrement dans les rues de New York. Et à toutes les époques ! Certains l’appellent Marty. Vous l’aurez compris, je vais tenter de m’immerger dans le cinéma de Scorsese, le gamin de Little Italy. Par quoi je commence ? Un certain documentaire intitulé « Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain », et plus particulièrement le troisième chapitre concernant l’évolution des libertés individuelles (et notamment la censure au cinéma) : de « Intolérances » de D.W. Griffith à « Faces » de John Cassavetes en passant par « Derrière le miroir » de Nicholas Ray ou « Shock corridor » de Samuel Fuller, Scorsese parle de ses influences (Josef von Sternberg, Stanley Kubrick…) en donnant une aura insoupçonnable au cinéma dans son mot de fin en incorporant cinéma et religion. Une analyse à double tranchant qui m’attire à découvrir encore plus le cinéma. Merci Martin ! De la (très longue et prolifique) carrière de Martin Scorsese, je n’ai sélectionné que les métrages suivants : « Mean streets », « Taxi driver », « Raging bull », « La dernière tentation du Christ », « Les affranchis », « Casino », « Gangs of New York », « Les infiltrés », « Shutter island » et « Le loup de Wall Street » (pour certains, ma critique est déjà mise en ligne). Au début de sa carrière, Martin Scorsese signe quelques courts-métrages et un documentaire (« Street scenes ») dénonçant la guerre du Vietnam par des émeutes pacifistes à New York. Son premier long-métrage (« Who’s that knocking at my door »), qui prend source de son film de fin d’étude, mettra quelques années de plus à sortir dans les salles obscures. Son deuxième film, « Bertha Boxcar », dans lequel on retrouve le regretté David Carradine (connu en ces années 2000 pour avoir incarné le Bill de « Kill Bill »), il le doit à la participation financière de Roger Corman. Suite aux déconvenues avec ce dernier, Martin Scorsese décide de tourner « Mean streets », et ce, grâce à la roublardise de Corman qui arrive à lui trouver une société de production. C’est donc grâce au réalisateur de « Mitraillette Kelly » que le futur metteur en scène des « Nerfs à vif » se lance dans son troisième long-métrage. Histoire de « Mean streets »: Little Italy, New York. Johnny Boy, tête brûlée, doit de l’argent à un parrain. Charlie, le cousin de Johnny, tente de le protéger. En deux phrases, le script est lancé : le lieu (le quartier des immigrés italiens) et les personnages (liés à la mafia, la religion et la morale). Aidé de Mardik Martin (le premier collaborateur de Marty pour ses scénarii fut son camarade à l’Université de New York. « It’s not just you, Murray » -court-métrage de Martin-, « Mean streets », « New York, New York » et « Raging bull » sont à créditer à son nom.), Scorsese invente un style, celui d’incorporer un message religieux sous fond de corruption. Et ainsi de tordre les idées reçues sur ce fameux rêve américain. Le personnage de Charlie (extraordinaire Harvey Keitel) est l’essence du bien qui se réfère pieusement à l’image de l’Eglise. Charlie veut faire le Bien malgré son amitié pour son cousin Johnny (extravagant De Niro). On retrouve en Charlie l’antagonisme qui le lie à Johnny : se sentir bien, voler de ses propres ailes et l’aider. En ce sens, le personnage de Charlie est l’alter-ego du réalisateur puisque ce dernier puise en Charlie une partie de sa vie. Le metteur en scène décrit ainsi ses sentiments et ses impressions via les personnages du film et démolit l’idée d’une vie faîte de gloire et d’argent. De plus, il tourne « Mean streets » dans le quartier de Little Italy, celui dans lequel le metteur en scène a grandi. Un réalisme authentique en ressort, et Scorsese de capter l’ambiance malfamée de ces rues newyorkaises infréquentables dans lesquelles il a vécu. Avec cette caméra à l’épaule (et filmant de front ses personnages), un réalisme new yorkais s’en dégage, et la patte d’un grand réalisateur en devenir se forme. Travellings ralentis, couleur rouge sang, les rues dans l’ombre, café-bars à l’épreuve de l’image, dimension de l’alcoolémie de Charlie, violence à l’état pur, gangstérisme, tout concoure à la réussite d’une nouvelle esthétique et d’une nouvelle mise en scène. Ajoutons là-dessus une bande-son des plus modernes, électriques et enivrantes (les Ronettes, Rolling Stones…), et nous avons une mise en scène énergique, à la Scorsese. Certes d’une forme brouillonne, mais bougrement efficace. Ce qui parachève « Mean streets », c’est bien sûr le casting. Les acteurs, tous new yorkais, connaissaient de plus ou moins loin le futur réalisateur des « Affranchis ». Incroyable, non ? Harvey Keitel, dans la peau de Charlie, impressionne, et c’est tout en finesse et détermination qu’il apporte son énergie à donner un calme à toute épreuve. Keitel, qui a rencontré Scorsese pour son premier métrage (« Who’s that knocking at my door »), n’a alors que 34 ans ! Robert De Niro, 30 ans !!, incarne un Johnny fougueux et enragé, et c’est avec une délectation première que l’on suit ce (second !!!) rôle, qui part d’un travelling rouge (dans un bar) à la Scorsese sur un « Jumpin’ Jack Flash » endiablé. Une interprétation de tonnerre de la part de De Niro. Incandescent, jusqu’à la dernière minute. Foudroyant !...alors qu’il n’a cependant joué que pour les débuts d’un autre grand réalisateur moderne, Brian De Palma !: « The wedding party », « Bloody Mama ». A côté de ce très jeune mais talentueux duo d’acteurs (Keitel-De Niro), seul l’acteur David Proval (Tony) a retenu mon attention. Il deviendra lui-aussi une petite pointure : « Kojak » (épisode 1 de la saison 1) sorti la même année, « Les évadés » de Frank Darabont, « Mise à prix » de Joe Carnahan. La performance des acteurs est à souligner car Scorsese a donné une liberté d’improvisation à tous. Notons également la présence de deux des frères Carradine : Robert et David. Pour conclure, « Mean streets », qui a réclamé 27 jours de tournage et sortie en 1973 aux Etats-Unis, est un film autobiographique à la Scorsese qui fut acclamé à Cannes à la Quinzaine des réalisateurs et au Festival de New York. Un coup de maître (brouillon) à découvrir. Spectateurs, en-Scorsese(z)-vous ! PS : Carrière lancée, le cinéaste accepte une œuvre plus commerciale, « Alice n’est plus ici ». Affaire à suivre…

brunodinah
6
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le 3 juil. 2019

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