Je continue mon cycle Sirk à la télé et découvre ce mélo tragique, étonnamment critique envers la société américaine de 1958, le tout dernier tourné à Hollywood par le réalisateur avant de quitter définitivement le sol étasunien. Il s'y livre à une charge désespérée contre le racisme quotidien, loin du Sud esclavagiste, pourtant. Si les Noirs du film peuvent entrer à leur guise dans tous les établissements de la ville, ils n'y sont pas forcément bienvenus et ne jouissent d'aucun des privilèges naturels des Blancs. C'est pour cette raison qu'une petite fille née claire par la magie de la génétique veut mettre autant de distance qu'elle le peut entre sa mère, tout à fait noire, et elle. Ce ressort dramatique prend peu à peu le pas sur toutes les intrigues parallèles, habilement tissées dès le départ pour donner l'impression que cette honte que la petite éprouve n'est qu'un aspect d'une problématique plus générale. En réalité, petit à petit, elle devient l'élément central, voire la pierre d'achoppement de la construction sociale complète. Les hommes en prennent plein leur grade : égoïstes, sûrs d'eux, calculateurs, autoritaires voire brutaux, ils ressemblent à des nains en face des deux femmes qui tentent de garder leur dignité malgré les multiples abus de pouvoir auxquels elles sont confrontées. Même affranchies financièrement, elles subissent des revers terriblement injustes de la part de leurs filles, qui les rendent coupables de tout ce qu'il aura fallu faire pour survivre dans une société qui leur était finalement au moins indifférente sinon hostile. Un tableau bien sombre, donc, qui finit en apothéose mélodramatique lors de l'enterrement final, un modèle de tire-larmes parfaitement maîtrisé qui vient clore un long chemin de croix qui a eu l'élégance de ne jamais dire son nom. Pendant qu'elle tournait ce film, Lana Turner faisait face à un drame personnel dont on pourrait croire sentir l'écho dans les scènes de confrontation avec sa fille de cinéma. Bref, des tas de raisons de voir ce mélo conçu comme une redoutable démonstration de la monstruosité de la bonne conscience collective.