A l'ombre de Shining (attentions spoilers).
C'est toujours agréable de découvrir un film fantastique qui prend son thème et son sujet au sérieux. Ici, point de second degré ni de connivence forcée avec le spectateur, mais plutôt une foi absolue dans la force et les possibilités du genre.
Si elle s'inscrit pour son premier film dans le pas d'illustres prédécesseurs (pour faire large, de Méliès à Carpenter), Jennifer Kent déjoue également le piège de l'hommage révérencieux compassé.
L'intrigue de ce Babadook se révèle assez classique : un croquemitaine menace l'équilibre d'une organisation familiale déjà fragilisée par un trauma antérieur. Bien sûr, ce Babadook est en réalité la figuration du démon intérieur qui gangrène la mère, de sa part d'ombre. L'excellente idée du scénario se situe dans l'ambivalence affective de la mère vis à vis de l'enfant, ambivalence qui trouve ancrage dans le drame familial : le père est décédé au cours d'un accident alors qu'il emmenait sa femme à la maternité pour accoucher. Face à cette tragique équation (naissance de l'enfant=décès du père=fin de sa vie de femme), la santé mentale de la mère ne cesse de vaciller jusqu'à se laisser envahir par ce Babadook (a-t-elle écrit le livre à l'origine de son éclosion?). Shining n'est jamais très loin, mais Jennifer Kent semble plutôt avoir le roman de Stephen King en point de mire que le film de Kubrick (apparition plus progressive de la folie de la mère, focalisation plutôt du côté de l'enfant).
Malgré (ou grâce à) cette apparente banalité de l'argument, The Babadook manifeste une belle singularité en raison de qualités évidentes de mise en scène, d'une photographie soignée, et d'une solide construction dramatique. N'oublions pas la performance tout en nuances de Essie Davis qui permet de renforcer l'adhésion du spectateur au drame de l'héroïne puis à l'éclosion de sa folie/possession. Pour conclure sur les qualités du film, le sound design se révèle particulièrement efficace ingénieux dans l’ambiguïté qu'il instaure entre les sons intra- et extra-diégétiques.
Jennifer Kent tient son film pendant quasiment 1h20 puis décide en bout de course d'incarner le Babadook. Elle quitte donc la suggestion dans lequel elle maintenait jusqu'alors son croque mitaine et, bien sûr, le film perd de sa puissance et de son étrangeté. Le plus gênant étant peut-être le manque de moyen évident qui ne lui permet finalement pas de proposer une réelle incarnation satisfaisante du Babadook. Mais ce défaut, finalement assez accessoire, ne vient pas compromettre la bonne impression générale qui se dégage du film et, encore une fois, ses nombreuses qualités (notamment pour un premier film). On se plaît à rêver que Jennifer Kent creuse sa voie d'auteur au sein du genre fantastique.