M00(7)nraker : un Bond qui ratisse (trop) large

Voilà le genre de film qui, surtout lorsqu'on le voit au cinéma, remet les pendules à l'heure. Nous sommes en 1979 et La Guerre des Étoiles (Star Wars), ainsi que 2001 : L'Odyssée de l'Espace avant lui en 1968, ont fait chacun un carton au box office. "Comment ignorer ces évènements ?" c'est la question que se pose alors Albert Broccoli, producteur de la franchise. Il change donc ses plans et décide d'adapter Moonraker en lieu et place de Rien que Pour Vos Yeux, prévu comme prochaine aventure de son agent lucratif à la fin du générique de l'Espion qui m'Aimait. Il fait revenir Lewis Gilbert qui réalise donc son deuxième Bond consécutif et son troisième film de la série. Eh oui, car il avait déjà réalisé On Ne Vit que Deux Fois. Alors du coup pour le script ils ont mélangé les deux premiers films créés par le réalisateur d'Alfie et inventé naturellement un méchant qui met en œuvre un plan ressemblant à celui de Blofeld dans Au Service Secret de Sa Majesté, version space opéra. Il y a même un lien direct mais subtil car les verres utilisés dans Moonraker sont ceux évoqués dans l'Espion qui m'Aimait.



Un esprit messianique …s'attaquer à la Bible c'est quand même un gros morceau



Là ou Blofeld tentait d'envoyer un virus par le biais de jolies "anges de la mort" , Drax, l'adversaire de Bond ici, utilise la nature pour la préserver tout en exterminant l'espèce humaine. Il souhaite donc devenir un dieu construisant une Arche de Noé (cette référence est d'ailleurs cité par James Bond) spatiale et moderne ou il choisirait lui même les humains assez proches la perfection. Il agit donc comme le démiurge, le demi-ouros décrit par les textes gnostique en particulier au sein du valentinisme . Ce n'est donc pas un véritable dieu et il tombera pour avoir été trop proche du soleil comme Icare. Bond représente une nouvelle fois le principe masculin qui nettoie par le feu le côté obscur pour s'unir finalement avec le principe féminin. Il est au service du dieu véritable ou au moins de la Sofia qui cherche à rétablir l'équilibre de l'Univers. Bah oui parce ce film se passe littéralement dans l'Univers. Il sauve l'espèce humaine entière en réalité. Un peu comme Jesus en somme sauf qu'il ne meurt pas à la fin. C'est un peu les Evangiles notre le projet d'Alliance de Noé. Au passage il rend service à Sa Majesté, aux américains et à tous les annonceurs de la planète comme nous le verrons plus tard. L'intrigue politique dans cet épisode est plutôt légère, ce qui est dommage, donc laissons la de côté. De toute façon c'est souvent le cas dans les films de James Bond des années 70. Ce n'est que dans les années 80 que la trame géopolitique de ces films commencera à être plus creusée.



Un esprit marketing sans rythme



Revenons à notre remise à l'heure pendulaire. Il y a dans ce film tout les défauts que la série peut arborer ainsi que toutes les raisons pour lesquels James Bond est un succès chez une large audience. Reprenant la recette, c'est à dire la structure scénaristique du précédent volet ainsi que le même réalisateur, Moonraker est le film de la franchise qui a fait le plus gros carton à son époque jusqu'à l'avènement de Pierce Brosnan, il n'y a qu'à jeter un œil aux chiffres. Et en parlant de celui-ci, on a beaucoup reproché à ses films et même à ceux avec Daniel Craig de faire la part belle au placement marketing. En revoyant Moonraker on remarque que de nos jours il est plutôt à la baisse en réalité. En effet dans celui-ci, nous trouvons de la réclame pour Dior, Air France et son concorde, Seiko, British Airways, Bollinger, ainsi que des marques moins dans un esprit glamour comme Carlson, Marlboro ou encore 7Up !
L'un des plus gros défaut est le manque d'équilibre et de rythme. Les deux vont de paire car l'incohérence du film perd le montage dans des méandres assez inexplicables. Si les clins d'œil à Rencontre du Troisième Type ou au roman qui a inspiré Moonraker sont discrets, voir Bond habiller en cowboy en référence aux Sept Mercenaires et débarquer dans un monastère truffé de moines qui tirent au pistolet laser est plus discutable. On peut en rire mais il est difficile d'approuvé un choix qui replace la série là d'où elle provient, la série B. Au cinéma le ressent d'autant plus. Pourtant le bon début laisser présager d'un film original mais plutôt sobre dans l'extravagance en quelque sorte, dans la tradition des derniers films avec Sean Connery. Mais au milieu du film cela devient n'importe quoi. Le décor en carton pâte au milieu de l'Amazonie ne fonctionne plus de nos jours et reprendre Jaws n'apporte pas grand chose car il n'y a plus de surprise et sa romance est tout juste amusante.



Un esprit sans lotus



Le film a également objectivement des qualités comme le comédien jouant Drax, Michael Lonsdale, impeccable même si peu exploité au final. Tous ses dialogues sont cinglants. La musique est le grand atout du film avec le retour du maître, John Barry, après la parenthèse disco de Marvin Hamlisch, dans le film précédent. Il crée une musique légère et envoutante qui porte le film même dans ses moments de faiblesse. Autre satisfaction artistique, certaines scènes, dont celle de l'exécutions de Corinne, possèdent une photo remarquable et permettent d'entrevoir ce qu'aurait été ce film avec un autre script et un autre montage. Enfin les effets spéciaux de Derek Meddings sont à la hauteur des films dont il s'inspire, surtout quand on connait les techniques, parfois simples, qu'il utilise.
Le défaut du film, au fond, est de vouloir ratisser le plus large possible, du moins à son époque, en surfant sur la vague des films se déroulant dans l'espace. Il veut clairement plaire à un grand public, un peu trop grand peut être. C'est ce qui fait sa force commerciale mais sa faiblesse artistique. Rétrospectivement on constate que la production l'avait compris car le film suivant sera beaucoup moins extravagant. Et fera revenir la Lotus Esprit du film précédent. Il n'atteint donc pas le nirvana promis par le lotus. Toutefois Moonraker se regarde aisément car il est bourré d'humour, de gadgets et de femmes magnifiques. Simplement, à force de vouloir aller plus haut dans les cieux, le vieux James touche la lune au box office et finit par se perdre dans les étoiles de la dispersion.

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le 2 mars 2016

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Fiuza

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