Le temps, c'est de l'argent

Attention, spoilers partout. Saurez-vous les retrouver ?

Le temps de lire cette critique, vous aurez vieilli d'une dizaine d'années. C'est le sort diabolique qui fait le point de départ de ce nouveau Shyamalan. Peut-être ne serez-vous même plus capable de distinguer les caractères sur cet écran à la résolution brusquement bien trop grande pour vos yeux fatigués de nouvel octogénaire. Que la vie est cruelle ! Mais rassurez-vous, elle est courte.

Dans Old, le paradis est un enfer. Une plage idyllique, isolée, presque déserte, où les vagues turquoises viennent doucement faire danser les grains de sables blancs. Depuis que vous avez posé vos valises, tout est bien trop beau: l'hôtel, l'accueil personnalisé, le petit tuyau du propriétaire vers cet endroit magique réservé à quelques privilégiés.
Bien sûr, tout cela n'est pas exempt de petits malaises. L'ambiance avec votre femme, la voisine de table à la cantine de luxe qui vous fait une crise d'épilepsie. Mais là, vraiment, quel pied ! LE lieu idyllique, la crique immaculée.
Oh un rappeur au blaze ridicule assis sur les rochers. Vous ne l'aviez pas vu.
Pourtant, vous ne tardez pas à comprendre, amateurs de probabilités et actuaire que vous êtes, que vos chances de survie sont minces. Marius, votre petit dernier vient de vous demander pour aller vous baigner avec lui et vous vous étonnez, à mesure que vous vous enfoncez dans les vagues, que ce petit bonhomme de 4 ans qui vous tient fermement la main ait encore pied.
La bonne aubaine. Marcus grandit à chacun de ses pas et le temps que vous vous en rendiez compte, il a 8 ans. Sacrebleu ! Là, niveau probabilité, vous êtes bluffé. Votre esprit cartésien tente de se raccrocher à une quelconque explication qui tiendrait la route. Un virus !
"- Chérie !! Y'a un virus qui fait grandir les enfants. Trop d'hormones, comme les poulets."
Le temps que vous rebroussiez chemin jusqu'à la plage, Marius est tout nu. Il a 16 ans et son maillot de bain, ne pouvant rien contre ses nouvelles mensurations, s'est déchiré pour se perdre dans les fonds marins.
Vous tentez de vous calmer mais il faut dire que vos compagnons d'infortunes n'y mettent pas du leur. Le seul médecin de l'équipe commence à raconter des trucs bizarres sur des gars, visiblement pas caucasiens, qui voudraient lui piquer sa Brietling, tout ça entre deux massages cardiaques parce que sa mère est subitement en train de passer l'arme à gauche.
"- Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ! Oh, je crois que j'ai vu un truc briller.
- Euh papa ?
- Quoi ?!
- Je savais pas comment te le dire mais tu vas être grand-père.
- Quoi ?!
- Non rien. Fausse alerte."
Là, forcément, vous commencez sérieusement à paniquer.
"- Papa, j'ai une idée.
- Quoi encore Marius.
- On a qu'a partir."
Ben oui, Marius arrive bientôt sur ces 20 ans et il n'a pas qu'un corps à faire craquer la petite Jeanne, il a aussi les bonnes idées qui vont avec son esprit vif de nouveau jeune premier. Vous vous dites, pas peu fier de votre rejeton qui hier encore se pensait être le créateur du parfum vanille/fraise, qu'il aurait fait un bon actuaire lui aussi si vous aviez eu le temps de l'inscrire à l'université.
- T'es un génie Marius, hurlez-vous en prenant sa plus si petite bouille entre vos mains avant de grimacer et de vous exclamer : Mais tu piques ! Et mets un slip de bain s'il te plait.
Mon dieu que le temps passe vite ! Vous vous seriez bien auto-congratulé mais il faut vous rendre à l'évidence, vous n'y êtes pour rien sur ce coup. Et puis franchement, vous avez d'autres chats à fouetter. Une tumeur à extraire, un mariage à sauver, une fille qui a ses règles toutes les 20 secondes et commence à sérieusement souffrir d'anémie. D'ailleurs tiens, pourquoi nos ongles et nos cheveux ne poussent pas ? C'en est une bonne question ça.
"- Euh papa.
- Oui Marius.
- Je sais pas à quoi tu penses mais on perd du temps là et tu commences à sérieusement ressembler à papi.
- T'as raison mon loulou, allons-y.
- Oui par contre, si tu pouvais arrêter de m'appeler loulou, je vais avoir 35 ans là.
- 35 ! Mais faut qu'on aille faire le rappel de ton vaccin antitétanique !
Vous y allez, enfin. Mais après quelques pas, vous vous sentez légèrement essoufflé. La sortie n'est qu'à quelques mètres mais vous décidez finalement de rester là. Parce que franchement, elle est vraiment belle cette plage. Vous ne savez même plus forcément quand ni comment vous êtes arrivé, chanceux que ce bon vieil Al Zheimer se soit invité sur le tard. La nuit tombe sur votre vie. C'était quand même une belle aventure. Quelques galères, deux trois ossements qui dépassent du sable, mais dans l'ensemble, c'était pas si mal.
Vous n'aurez pas le fin mot de l'histoire. Pas vous.
"- Bonne chance Marius."

Vous êtes mort. Mais la vie continue car certaines personnes ont besoin de savoir les raisons de tout cela. Quelle justification pourrait-il bien y avoir derrière ce piège si savamment orchestré et si mal raconté ? Vous n'aurez pas tout perdu car la relève est assuré. Marius, ce génie, vient de se rappeler ses souvenirs de gosses de la veille et les petits mots à décrypter de ce nouveau copain de vacances. Il lui en restait d'ailleurs un à lire qu'il n'avait ironiquement pas eu le temps de déchiffrer, à l'époque où le cours de la seconde n'avait pas encore explosé à Wall Street. Heureusement, votre décès ne l'a pas trop marqué. Il faut dire qu'il n'avait pas vraiment eu le temps de s'attacher et il va donc trouver la faille qui était là, sous ses yeux (mais pas les nôtres) depuis le début.
Quel magicien ce Manoj ! Sacré chapeau et belles jumelles au passage.
Boum ! C'est plié, justifié. Le temps, c'est vraiment de l'argent.

Vous êtes mort. J'ai pris 14 ans dans la vue, perdu l'ouïe à droite, quelques centimètres, mais ça valait vraiment le coup d'écrire la critique pleine de mauvaise foie de ce film qui m'a paru trop construit, fabriqué, calculé, comme si des personnages au récit, M. Night Shyamalan se contentait d'empiler des scènes et de faire des révélations pour permettre au récit d'avancer, trop vite.