Pour beaucoup, Nicolas Winding Refn, c'est Drive, premier film dont il n'avait pas signé le scénario et première incursion du réalisateur dans le cinéma Hollywoodien. Il est toutefois bon de garder à l'esprit que cette excellente appropriation de ce qui aurait pu devenir un banal "fast & furious" entre les mains d'un autre réalisateur reste son film le plus orienté grand public. Nicolas Winding Refn revient ici à quelque chose de plus personnel et plus expérimental qui va joliment violer les illusions de ceux qui ne juraient que par la révélation du festival de Cannes 2011. On revient ici à un rythme plus lent, à mi-chemin entre Drive et le sublime Valhalla Rising, exposant posément des plans à l'esthétique irréprochable où le daltonisme du réalisateur transparait à nouveau via des couleurs splendides et contrastées qui viennent à la fois ravir et agresser nos rétines. Le talent inné qu'il a pour la mise en scène est juste indéniable, qu'on apprécie ses films ou non. Les images s'imposent comme autant de tableaux purement hypnotiques dont il ne faut pas tant chercher le sens qu'admirer la finesse. Nicolas Winding Refn aime à déranger son spectateur avec un rythme posé, entrecoupé de scènes d'une violence rare qui prend aux tripes et nous retourne les boyaux pour en extraire le contenu à la petite cuillère avant d'en faire des cordes de violons.

Le traitement de la bande sonore n'est pas en reste pour parvenir à ce résultat en jouant sur nos attentes avec des sons qui ne sortent pas lorsqu'on les attends ou au contraire nous retournent l'estomac en évoquant de manière auditive ce que l'image nous as déjà suggéré. Si les bruits de crâne fracassé avaient particulièrement marqué dans son film de Vikings, une scène aura également sa place au panthéon des bruitages dérangeants dans Only God Forgives, surtout par son contexte et ce qu'elle sous-entends. Les musiques viennent aussi soutenir l'image avec des crescendos somptueux, de nouveau interprétés par Cliff Martinez mais évoquant davantage Valhalla Rising que Drive de par leur capacité à remplacer les dialogues et susciter une émotion vive une fois combinée à l'image. La bande originale se démarque également par l'interprétation magistrale de l'acteur Vithaya Pansringarm : sans avoir une voix parfaite, il instaure par ses chants sur scène une ambiance inattendue et dérangeante lors de passages où le spectateur s'attend à tout sauf à ça et surtout venant d'un tel individu.

Concernant le casting, Ryan Gosling rempli son rôle aussi bien que dans Drive et signe là une performance somme toute assez similaire, mais c'est Kristin Scott Thomas qui crève l'écran en mère manipulatrice et intransigeante. A la fois humiliante, froide, vulgaire mais digne, elle s'impose comme une fatalité qu'il est impossible de contredire ou d'éviter. En somme Nicolas Winding Refn signe ici une nouvelle perle de mise en scène expérimentale où le son et l'image sont de purs produits d'art abstrait, mettant parfois de côté la narration pour laisser libre cours à l'interprétation du spectateur. Il y a fort à parier que la critique ne lui pardonnera pas cet éloignement de Drive mais les fans du réalisateur (qui s'en fait de nouveau et en perd d'autres à chaque nouveau film) et du cinéma en tant qu'objet d'art ne pourront qu'être emportés par la beauté du voyage. Ce film n'est pas pour tous et entendons nous bien : je ne pense pas qu'il y ai les bons cinéphiles qui aimeront et les mauvais qui n'accrocherons pas; tout comme pour Valhalla Rising, il faut aimer un certain genre de cinéma qui ne se destine pas à tous les spectateurs et n'est qu'affaire de goûts, de la même manière qu'un tableau de Picasso ne parlera pas à tous comme une œuvre de Michel-Ange. Il se peut d'ailleurs que je manque d'objectivité, Nicolas Winding Refn étant pour moi le premier réalisateur dont la filmographie me fascine presque autant que celle de Stanely Kubrick depuis que ce dernier m'a fait découvrir le cinéma en tant qu'art et plus comme un simple divertissement. Tous deux partagent d'ailleurs ce don de la mise en scène, cette virtuosité dans l'emploi des musiques et cette fascination pour la violence, physique ou mentale. J'ose espérer qu'il sera un jour autant reconnu que ce génie auquel il me fait tant penser. En attendant, comme beaucoup d'artistes avant lui, il sera souvent hué pour son cheminement hors des sentiers battus.

Créée

le 22 mai 2013

Critique lue 369 fois

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Vincent Motte

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