Avec "La Horde Sauvage" en 1969, Sam Peckinpah avait dynamité le Western. Un an plus tard avec "Un nommé Cable Hogue", il semblait l'avoir enterré. Mais en 1973, il décide de réaliser "Pat Garrett et Billy le Kid", un Western unique dans sa filmographie qui marquera sa dernière incursion dans ce genre mythique.


Spoilers


Pour son ultime Western Peckinpah commence par la fin. La première scène donne le ton, le film sera violent, cruel et crépusculaire. Mais avant tout, Peckinpah choisit ici de concentrer son film autour de deux personnages Pat Garrett interprété par l'immense James Coburn et Billy The Kid que Kris Kristofferson s'approprie à merveille. L'un est un homme sensé, usé par l'Ouest, par sa vie antérieure de hors-la-loi. L'autre est un chien fou, incontrôlable et insatiable. Cet antagonisme, c'est celui de deux hommes marqués par leur passé, liés par leurs vies antérieures mais aussi deux hommes qui ne voient plus l'Ouest sous le même angle, deux hommes qui ont vu leurs chemins se croiser puis se séparer.
Ce film repose justement sur cette rivalité permanente qui se traduit dans les actes, les attitudes des personnages. Pat est un homme marié, résolument tourné vers le futur, vers la paisible et prospère vie qu'il aimerait mener quitte à sacrifier son passé, quitte à sacrifier ce qu'il a aimé. Billy est un cow-boy, un homme qui vit au gré de ses aventures, de ses rencontres, un homme qui vit au rythme de l'Ouest, de ses coutumes, de ses fusillades, de ses duels au soleil, Billy est simplement le cow-boy insouciant, fou et valeureux dans toute sa splendeur. Le film est évidemment construit sur cette rivalité, cette opposition entre les deux protagonistes, une opposition (la symbolique du miroir lors du final est très forte) que le scénario du film exploite merveilleusement bien.


Au-delà de cet aspect, Pat Garett et Billy le Kid, c'est aussi un voyage et une ballade à travers l'Ouest Américain à son crépuscule. Ce voyage est parsemé de rencontres, de moments d'émotions, de joie, de vie tout simplement. C'est un film vivant, tous les personnages sont bel et bien vivants quelque soient leurs idéaux, ils vivent et existent justement au gré de leurs rencontres, c'est presque un accumulation de tranches de vie qui nous sont montrées.


Ce qui est également extrêmement fort et étonnant, c'est de voir Bloody Sam le nihiliste, le pessimiste, le réalisateur des Chiens de Paille signer un film aussi humain. C'est un western humaniste, cela ressemble fort à du Eastwood et pourtant c'est du Peckinpah. Mais Bloody Sam reste Bloody Sam et cette humanisme apparent est évidemment contre-balancé par sa vision crépusculaire et désespérée de l'Ouest. Il y a ici une forme d'acceptation magnifique et tragique de la mort, du destin, de tout ce qu'est la vie au fond. Tout au long du film, les personnages sont confrontés à la mort, à l'horreur et pourtant ils l'acceptent sans rechigner, sans discuter...


Cette acceptation de la mort, du destin, est aussi celle de la fin de l'Ouest comme dans La horde Sauvage ou dans Il était une fois dans l'Ouest, les personnages sont confrontés à l'avidité, à la cupidité. Pat aime Billy mais Pat voit cet amour, cette amitié brisée par son rôle, par l'argent, l'avidité et la cupidité. C'est encore une fois la démonstration par Bloody Sam de la mort des valeurs de l'Ouest, de la tradition du cow-boy, c'est la mort de ces valeurs et de ces coutumes face à l'argent et l'avidité. Toute l'incompatibilité de ces deux visions, l'une traditionaliste, l'autre capitaliste se tiennent là et se reflètent évidemment dans les personnages qui sont en quelque sorte pris dans l'étau, dans cet inévitable révolution qui brise leurs liens, leur amitié et qui inévitablement prépare l'issue tragique...
Toute la puissance du récit repose dans cet aspect tragique, dans l'histoire de ces deux hommes au crépuscule de leur vie, au crépuscule de l'Ouest qui se pourchassent avant de s'affronter. Le duel final est d'ailleurs à l'image de cette fin du Western classique, Billy le cow-boy, l'anti-héros fougueux est abattu lâchement, le duel n'a pas eu lieu, la tradition du Western est bien loin...L'ultime scène ou Coburn s'en va à dos de cheval au soleil levant, le coeur gros est magnifique, le crépuscule est passé, l'aurore est arrivée et c'est tout l'Ouest qui a basculé à jamais...


Évidemment pour coller à cette sublime tragédie crépusculaire, il fallait une partition musicale dans un ton similaire et la partition de Bob Dylan l'est. Mélancolique, émouvante, puissante, la mélodie de Dylan est inoubliable. Le "Knockin on Heavens door" est le point d'orgue, le sommet de cette magnifique partition et cette scène-là est une des plus belles que j'ai pu voir...Un grand moment de cinéma.
Et pour terminer, j'aimerais souligner la réalisation sublime de Peckinpah-qui use toujours de ses effets habituels de stylisation de la violence- et sa remarquable utilisation de la musique. D'autant plus remarquable que le cinéaste était déjà à l'époque en proie à des problèmes d'alcoolisme. A noter enfin la présence discrète de Bob Dylan, dans un rôle taiseux et assez fascinant.


Sam Peckinpah signe avec "Pat Garrett et Billy le Kid" un Western magnifique, crépusculaire, un film d'une singulière beauté porté par la sublime B.O de Bob Dylan et par de superbes acteurs. Autour d'une chasse à l'homme teintée de nostalgie, Peckinpah dépeint un Ouest en plein bouleversement, au crépuscule de son existence. "Pat Garrett et Billy le Kid", c'est aussi le chant du cygne de "Bloody Sam" qui nous offre ici un sublime et émouvant adieu au Western, genre qu'il a marqué d'une trace indélébile et qu'il laisse derrière lui dans un final teinté d'émotion et de violence digne de sa réputation.


Mon Peckinpah préféré.
Ma liste rétrospective sur ce grand cinéaste : http://www.senscritique.com/liste/Bloody_Sam/564955

SpaceTiger7
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le 24 oct. 2014

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SpaceTiger7

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