Twin Peaks, c'est avant tout une bande-originale exceptionnelle, hors du commun et du temps, envoûtante et qui transcende chaque scène, chaque plan. A l'heure où j'écris ces lignes, je la réécoute et rien n'y fait, c'est toujours aussi fort, chaque thème nous rappelle différents protagonistes, différents passages inoubliables et qui se raniment dans notre esprit. Ce n'est qu'un petit hommage au formidable travail d'Angelo Baladamenti et Julee Cruise, mais j'admirerai toujours ce duo pour ce qu'ils ont accompli, pour la force qu'ils ont su donner à cet univers, qui permet à l'image et le son de n'être qu'un dans une symbiose totale. C'est ici la symbiose, le lien entre le génie créatif de Lynch, ses délires visuels, ses protagonistes décalés, et et de l'autre côté la composition de Badalamenti qui envoûte, inquiète, perturbe et sublime une ambiance déjà superbement travaillée.


Cette ambiance si travaillée, elle se manifeste d'abord par des éléments que l'on retrouvera de manière récurrente. Dès le générique, la cascade, la scierie puis aussi Le Grand Nord Hotel pose un décor inquiétant, humide, orageux comme si cela pouvait éclater à tout moment. Le Grand Nord Hotel juché au-dessus de la cascade est d'ailleurs mis en scène tel un château que l'on pourrait croire hanté.
En quelques images, la petite cité ouvrière de Twin Peaks est présentée, une cité qui nous paraît déjà hors du temps, inquiétante, intrigante un peu comme à l'écart de la civilisation. Car oui Twin Peaks est une cité qui vit repliée sur elle-même, sur ses traditions.
Lynch et Frost construisent justement Twin Peaks comme une cité qui vit sur ses traditions, ses coutumes, ses secrets pour ensuite mieux les faire éclater. La première étape est le meurtre de Laura Palmer, qui va très vite bouleverser la communauté, rapidement les soupçons s'éveillent, et Twin Peaks se met à douter, la ville paraît si fermée que seul un élément intérieur peut être accusé. L'arrivée de Dale Cooper va changer la donne. Les méthodes de Cooper radicalement différentes de celle du Shérif Truman et de ses hommes vont surprendre. Cooper est un inspecteur moderne du F.B.I avec des méthodes évolués voir même très spéciales. Dale sait ainsi que Twin Peaks est une ville hostile et que pour son intégration, il devra se fondre dans le décor et il le fera. Ce qui ne sera pas le cas du mythique Doc Rosenfeld sûr de lui, arrogant et froid prêt à découper et charcuter Laura Palmer sans émotion tel un scalpel. Ce qui est intéressant, c'est justement que ces deux personnages en apparence superficiels, lisses vont finalement se révéler sensible, décalés, étranges. Ils sont finalement à l'image de la ville qui les accueille peut-être est-ce Twin Peaks qui transforme tout ce qu'elle touche mais une chose est sûre la folie douce de Cooper, ses délires incompréhensible, ces visions cauchemardesques, son calme olympien en toute circonstance en font un personnage unique dans la lignée de cette ville de fous furieux.


Car si Twin Peaks est une série unique, précurseur, c'est bien parce qu'elle a réussit à briser les codes, les conventions et car elle fut la première à oser. Ainsi, le modèle même du détective, de l'inspecteur est brisé par la série, Cooper est un personnage crée de toutes pièces pour vivre à Twin Peaks, un personnage unique venu d'un autre monde, sa force de conviction, son flair hors du commun, son calme naturel, sa gentillesse, ses méthodes quasi-visionnaires, ses attentions parfois étranges, ses obsessions, sa fascination pour le mysticisme, pour l'inconnu, tout cela rend Dale Cooper unique, inclassable, et forcément à des années lumière des archétypes de la série TV, de tous ces détectives qui semblent être calqués les uns sur les autres.


Mais ce n'est pas seulement Dale Cooper qui est au-delà des conventions, c'est toute la série qui dépasse les schémas formatés habituels. La série de Lynch surprend déjà car elle possède un recul sur elle-même. Le feuilleton "Invitation to love" est une habile mise en abîme de la série elle-même, des protagonistes, la série est consciente de sa nature de soap, et toute son intelligence est ainsi de le tourner en dérision, de le renouveler sans cesse. Car si "Invitation to love" s'inscrit dans la lignée des soaps lénifiants et sans intérêt de la télévision, ce n'est pas le cas de Twin Peaks. Là où Twin Peaks réussit à dépasser le cadre du soap pour la ménagère c'est dans son mélange de genres permanents. La série passe sans arrêt de la comédie, de la romance au thriller, mais elle laisse aussi le fantastique et même l'épouvante l'imprégner, ainsi on se sait plus on se trouve. Twin Peaks pourrait être un thriller horrifique, une comédie noire et fantastique on ne sait plus et c'est ce qui fait qu'elle est si inclassable. Et c'est aussi ce qui permet à la série de se renouveler constamment, de nous surprendre sans cesse notamment avec ces poussées parfois soudaines de fantastique.


Car l'intelligence de Lynch et Frost, c'est justement d'avoir su rendre sa série si étrange, si fascinante. La série joue tout d'abord énormément sur les symboles, la symbolique, le premier rêve de Cooper est d'une importance capitale car il crée cette mythologie de la série avec des éléments, des couleurs (le rouge), des symboles (le hibou) qui se manifesteront tout au long de la série, ainsi toutes les visions de Cooper entretiennent le mysticisme de la série avec la récurrence de personnages qui pourraient à la fois sortir d'un conte (le nain, le géant) ou d'un film d'horreur (Bob), ce culte de l'étrange qu'entretiennent Cooper et Briggs fait le sel de l'intrigue et maintient sans discontinuer cette tension, ce mysticisme qui enveloppe la série, qui effraie, et qui ne lâche plus les personnages comme s'ils étaient habités par ce climat à la fois étrange et repoussant. C'est ce qui mènera Cooper au bout de sa croisade contre les forces du mal tel un chevalier, c'est cette conviction dans l'irrationnel qui défie toute logique et cette fascination pour l'inconnu. Et on se retrouve aussi comme Cooper envoûté, effrayé par cette forêt, par ces visions démoniaques, par la musique de Badalamenti et c'est ce qui fait tout le charme et toute la magie de Twin Peaks.


Ce qui est également incroyablement jouissif et drôle dans Twin Peaks, c'est cette incroyable galeries de seconds rôles, souvent très drôles car décalés (Pete), maladroits (Andy ! ), naifs (Lucy), fous (Windom), manipulateurs (Catherine) et bien d'autres comme Harold ou Nadine. C'est cette galerie de personnages uniques, drôles, effrayants, violents, manipulateurs qui rend Twin Peaks si fascinante, c'est de voir Ben Horne et Catherine Martell s'entre-tuer, le triangle Treymane-Lucy-Andy se battre et se chamailler ou encore d'observer Audrey qui tente de séduire Dale, ce sont tous ces petits trucs qui forment un tout et rendent l'ensemble si merveilleux et si attachant.
Et puis ce qui est aussi fort, c'est de voir la destruction de la petite cité paisible qu'est Twin Peaks en apparence. Ces couples qui se déchirent, ces amitiés qui se brisent, ces secrets qui se dévoilent, ces personnages qui basculent du mauvais ou du bon côté, ces manipulations, ce jeu d'échec funeste...Tout ça est à la fois jubilatoire, émouvant, captivant et inoubliable. Tout ça c'est Twin Peaks.


La série de David Lynch fut celle qui osa la première et bouscula tous les codes et les conventions du genre. Mais Twin Peaks, c'est surtout une ambiance indescriptible qui envoûte et fascine, une sorte de cauchemar à savourer. Twin Peaks, ce sont des personnages incroyables interprétés par des acteurs en état de grâce et totalement impliqués. Twin Peaks, c'est la patte David Lynch qui tout au long de 30 épisodes merveilleux nous baladent dans les tréfonds de la folie et de la mort en mélangeant avec brio les genres dans un immense récit choral.
Twin Peaks, c'est aussi une montée en puissance magistralement orchestrée par Lynch qui nous assomme littéralement lors d'un final de fou furieux dont lui seul a le secret. Un moment d'anthologie, tétanisant, traumatisant qui met K.O mais inexplicablement nous donne envie d'y retourner. C'est surement ça la magie Twin Peaks ou peut-être le génie de Lynch ou les deux qui combinés nous ont offerts cette merveilleuse série.

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le 27 oct. 2014

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