"On n'épate pas le bourgeois avec des mots ordinaires !"

Au départ, il y a la fascination des petites gens pour un certain extraordinaire. C'est ce qu'il ne faut pas manquer de saisir pour ne pas être complètement désopilé par le dernier film, ou génial ou consternant (c'est selon), du moins monstrueusement bizarre, de Patricia Mazuy. Et même si le film semble d'abord s'inscrire dans le genre du policier français. Déjà, dans "Travolta et moi", il était question de fascination : le Travolta de "Saturday night fever" venait irriguer l'imaginaire et l'adolescence contrainte et pleine d'urgence de Christine, une fille de boulangers de Chalons sur Marne. A l'ouverture de son dernier film, sorte de comédie policière farcesque au titre digne d'une Une de "Enquêtes criminelles", Marion, une gendarmette au zèle solaire, se la joue "Voici" en rapportant à son commandant comment elle a arrêté la voiture déjà à l'arrêt de Johnny Depp, occupé à se faire faire une fellation, pour le verbaliser. C'est elle-même qui conseille d'ailleurs plus tard à une épouse éplorée venue à la gendarmerie déclarer la disparition de son mari d'aller chez le coiffeur, sans doute pour lire "Voici" et dissiper le poids de sa morne vie. Scène délicieusement saugrenue. Voilà pour prévenir le spectateur. "Paul Sanchez est revenu !" est donc la rencontre improbable et hautement romanesque d'une gendarmette (dont on se demande constamment si elle est gourde ou finaude - adorable Zita Hanrot), et d'un tueur fou en cavale (remarquable Laurent Laffite) qui, dix ans plus tôt, a massacré femme et enfants avant de disparaître. Le monstre, le Landru, l'illuminé serait donc de retour dans le sud de la France. Suite au fait divers sanglant à la Dupont de Ligonnès ? La rumeur du retour de Sanchez est lancée et elle ne tarde pas à charrier dans son sillage de traînée de poudre le désir de fiction sensationnelle de chacun. A commencer par l'impulsive Marion, qui plus déterminée et persévérante que sa tortue de compagnie, s'improvise, au gré des faits et contre tout sens de la hiérarchie, justicière solitaire en collant de Fantômette. Elle entraîne avec elle, et un peu malgré lui, le petit journaliste local, fatigué de couvrir les "Prix de la meilleure Tropézienne", puis toute la brigade, dont le commandant rugueux assure à lui seul le pittoresque réaliste du poste de gendarmerie façon JT de Jean-Pierre Pernaut. Qui est Paul Sanchez ? Pourquoi est-il revenu ? Le récit, qui semble s'autogénérer au gré des témoignages et des initiatives de chacun, tient bien son suspense, de même que la composition hallucinée et noire de Laurent Laffite, dont l'identité et la personnalité troubles nourrissent le drame. Du petit village du Var, montré à rebours de la carte postale idyllique, par sa périphérie laide et ses zones commerciales, au rocher rouge de Roquebrune où se terre Sanchez, tout le monde finit par courir et par y croire. L'imaginaire collectif s'emballe et porte l'avènement du fait divers glauque et sale du dimanche soir sous la douceur du climat du sud et dans les pool-houses des villas de luxe. Le montage alterné montre tantôt les traqueurs, tantôt le traqué. Le romanesque se dérègle, souligné par la bande son encore plus décalée de John Cale : trompettes de cavalerie, tambours et flûtes qui ponctuent les sorties plan épervier des gendarmes et du GIGN (qui a tout deviné en regardant un poster dans le bureau du commandant). Comme aurait écrit Bourdieu, le principe de sélection, c'est la recherche du sensationnel, du tragique et du spectaculaire. On en appelle à la dramatisation. On serait presque déçu si Sanchez n'était pas revenu. Mettre en scène l'événement, en exagérer l'importance et la gravité, voilà le remède contre l'ennui, la solitude et la peur des vies ordinaires. Et peut-être le secret de Monsieur Gérard, le vendeur de piscines, qui se fait construire un pavillon en crépi blanc dans une banlieue résidentielle. Et les mots, surtout ceux écrits en caractères gras, font des choses, créent des fantasmes et des phobies, et surtout des représentations fausses. Les petites phrases hilarantes du commandant, moins caricaturales qu'on voudra le penser, entre bon sens populaire et philosophie de comptoir, font le trait d'union entre la réalité banale et l'extraordinaire fantasmé. Si les habitants du petit village du Var sont affligeants de banalité, on ne se moque jamais d'eux. Puisque même les gens qui semblent extraordinaires sont affligeants de banalité. Attelage monstrueux de genres opposés, le film interroge le ressort même des mécanismes de la fiction. Il y a dans ce dernier film de Patricia Mazuy la fantaisie burlesque du "Gendarme de St-Tropez (épisode avec les gendarmettes - tout le monde y aura pensé à coup sûr) et la noirceur nerveuse de "L'adversaire" de Nicole Garcia, par exemple, dans lequel Daniel Auteuil incarnait la duplicité trouble d'un autre homme ordinaire, Jean-Claude Romand. On n'épate pas le bourgeois ou le peuple avec des mots ordinaires, aurait répété Flaubert.
Un film à voir absolument, ne serait-ce que parce qu'il détone au milieu des sorties actuelles. Et puis, un film refusé à Cannes ! C'est la meilleure des raisons pour aller le voir !

Sabine_Kotzu
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le 9 avr. 2020

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Sabine_Kotzu

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