Le même en couleur

On tape souvent sur la simple idée d'un remake alors qu'il peut être tout à fait légitime. C'est l'intérêt et les raisons du remake qui peuvent être critiquables. Et quel meilleur film que celui-ci pour s'interroger sur le sujet ?

Un projet de remake de Psychose est proposé à Gus Van Sant dès 1989, à la suite du succès de Drugstore Cowboy mais celui-ci n'aime pas l'idée de reprendre le film d'un autre et de le refaire "à sa sauce". Il propose alors d'en faire un remake très fidèle, au plan par plan, ce que le studio et encore beaucoup de gens aujourd'hui trouvent parfaitement ridicule. Quelques années plus tard, après sa nomination aux oscars pour Will Hunting, les producteurs décident finalement de l'écouter et de le laisser faire. L'idée est intéressante. En quoi une copie à tous points semblables de la Joconde serait moins belle que l'originale ? Certes le génie créatif en revient toujours à De Vinci mais dans le résultat, le copieur est aussi bon que le copié. Et quitte à copier un film, autant copier un chef-d'oeuvre !

Gus Van Sant aurait voulu travailler avec le storyboard original mais il demeura introuvable. Cela l'obligea à attentivement regarder le film d'Alfred Hitchcock, scène par scène, plan par plan et d'analyser chaque angle de caméra. Quel meilleur moyen pour étudier un film en profondeur que d'essayer de le refaire dans les moindres détails ?

En réalité, il ne se contenta pas de refaire le film mais plutôt d'imaginer ce que Hitchcock aurait fait en 1998. D'où l'ajout des couleurs entre autres choses. L'ouverture en plan-séquence au-dessus de la ville était aussi une chose voulue par Hitch mais que les moyens techniques de l'époque n'avaient pas permis. En 1998, il aurait pu, Gus l'a donc fait. Le plan sur les fesses d'Anne Heche lors de la fameuse scène du meurtre sous la douche n'est pas juste un ajout racoleur. En 1960, la scène avait de quoi faire scandale et Hitch fit bien attention à ce qu'aucune partie intime de Janet Leigh n'apparaisse aux yeux du public. En 1998, il ne se serait pas embêter avec ça. Gus, non plus.

On peut aussi se demander si sans limite morale, Hitch aurait été plus loin dans la perversité et le malsain. Ce qui explique la scène supplémentaire où Norman Bates se masturbe, genre de scène que l'on trouve plus facilement dans un film de Gus Van Sant que dans ceux d'Alfred Hitchcock... Et c'est là qu'on se rend compte que Gus finit par finalement s'approprier le film alors qu'il ne voulait pas prendre l'original pour le faire "à sa sauce". Cela soulève une nouvelle question, à quel moment le film cesse d'être celui d'Hitchcock et devient celui de Van Sant ? C'est tout le problème du film. Le réalisateur se bride dans ses idées pour ne pas s'éloigner de son but de départ et ne pas simplement faire le "nouveau film de Gus Van Sant". En résulte un film qui n'est ni la copie exacte de l'original (ce qui aurait été une certaine prouesse) ni l'un des films de Gus Van Sant les plus intéressants. En copiant Hitchcock, Van Sant finit tout de même par avoir un film marqué par sa patte dans la lignée du reste de sa filmo. C'est un constat intéressant...

Nul doute que l'expérience fut très enrichissante pour un réalisateur expérimental tel que Gus Van Sant qui adore se prendre la tête à essayer de comprendre l'essence même de ce qu'est le cinéma et de comment il fonctionne mais elle reste assez anecdotique pour le spectateur. Le film est bon mais l'original est meilleur, ce qui rend tout ça un peu vain au final. Psycho restera donc une expérience, ratée ou réussie (peut-être que la réponse est qu'elle est réussie parce qu'elle est justement ratée, m'enfin là je m'embrouille tout seul...), une expérience incomprise et un film pas commun dans l'histoire du cinéma.

Dans le même genre si ça vous intéresse, je me suis interrogé sur une autre de ses expériences, Gerry.