Quelle tricheuse, cette inspiration, qui frappe à la porte au moment le moins propice – à savoir à trois heures du matin dans un car pas éclairé du tout, après dix heures à cogiter sur cette œuvre digne de Dédale. Quelle garce, cette Muse dont je suis si dépendante, et sans laquelle tout ce que j'écris sonne aussi froidement d'un piano sans pianiste.


Le texte reste malgré tout d'un bazar sans fin, mais j'ai mis des titres pour essayer d'être un peu plus claire.


Je me lance dans cette critique en réponse et en remerciement à ceux qui m'ont aidé à comprendre ce chaos qu'est Puella Magi Madoka Magica. A savoir (avec lien vers leur critique, car ce sont elles, ainsi que leurs commentaires et leurs réponses aux miens qui m'ont aidée à sortir de ce magma sans fond) :



Je précise au demeurant que cette critique fait fi des spoilers et en étale donc à tout va. Maniaques du suspens, passez votre chemin.


Je n'ai pas de suite réfléchi à Maho Shoujo Madoka Magica. C'était trop tôt, trop brusque. J'ai dû laisser décanter cette gifle trop violente, si violente qu'elle m'a engourdie et a effacé sa propre douleur. Maintenant, et grâce à des lectures chaotiques, la lumière se rallume, les tasses se remettent tant bien que mal dans le placard et les pensées et les analyses montent à ma conscience comme des bulles effervescentes qui bruissent à la surface.



Le Faust de Goethe



Madoka correspondrait-elle à Faust ? Au début de l'anime, malgré ses efforts, malgré son apprentissage et son apparence de réussite aux yeux des autres, elle est habitée par l'insatisfaction « Da steh' ich nun, ich, armer Tor, und bin so klug als wie zuvor ». C'est cette insatisfaction qui la pousse au pacte, pacte duquelle elle est perpétuellement écartée – sauvée – par Homura.


Il est une phrase qui est emblématique du Faust de Goethe : « Verweile doch, du bist so schön », « Prends donc ton temps, tu es si bien ». Il s'agit de profiter du temps parce que l'on a atteint la satisfaction, une forme d'ataraxie ; mais dans « verweilen », il y a le préfixe « ver », qui indique la transformation, la perversion : ainsi le moment est faux, comme celui qu'Homura crée, parce que justement le monde « so schön » que Madoka a créé ne lui convient pas. Homura « verweilt sich », prend finalement son temps dans le plaisir de l'amour, en rendant Madoka à sa condition animale d'être humain, d'être de chair, d'être temporel.


La scène d'exposition de Faust, portant un long monologue du personnage éponyme, décrit une vie infra-humaine, que la connaissance rend vide de sentiment et d'espoir, pas même enviable par un chien, car elle est absolument détachée du monde. Ne serait-ce pas le type de vie que mènent Kyubey et Homura ? Les deux personnages se haïssent et sont à la fois extrêmement proches. Homura tue finalement le principe tentateur, le serpent, Méphisto, qu'était Kyubey, et prend sa place à la fin de Rebellion : c'est elle qui devient le principe de création des Maho Shoujo, car c'est désormais elle la tentatrice, l'insatisfaction. C'est elle qui renouvelle sans cesse son voeur et l'offre aux nouvelles jeunes filles. Elle est une sorte de Peter Pan qui refuse de grandir et emmène avec elle les enfants perdus, pour les tuer une fois devenus grands (et ceux-ci sont sauvés par Madoka). Homura remplace Kyubey car en devenant le démon de l'ange elle rééquilibre le monde et le principe extérieur qu'était Kyubey n'y a plus sa place. Qu'est le diable ? C'est Lucifer, le plus beau de tous les anges, celui qui aime le plus Dieu et que Dieu aime le mieux, c'est le favori, qui finit broyé par l'hybris cher aux Grecs, cet hybris d'avoir trop voulu Dieu, de s'être cru son égal, son supérieur même, et de s'être rebellé contre lui. Homura, c'est la chute de l'Ange : elle est le Porteur de Lumière, et d'espoir, donc d'insatisfaction, de désir de toujours plus (désir venant de desiderium, l'absence de l'astre, la recherche de l'étoile perdue). Homura, comme Lucifer, devient démon par excès d'amour, et représente l'orgueil de chercher à atteindre et de sans cesse poursuivre Dieu.



Madoka, figure christique



Pourquoi Madoka est-elle la seule à dessiner son costume ? Pourquoi est-elle la seule à ne pas avoir de bottes ? Car elle est la metteuse en scène, la réalisatrice. C'est selon ses choix que la pièce change, qu'elle fait évoluer les décisions de son héroïne, Homura. Chaque représentation, recrée par Homura à cause d'elle, varie selon son comportement. Madoka est déjà déesse avant de l'être, ce qui crée son immense pouvoir de Maho Shoujo, tout comme Haruhi maîtrise le monde sans le savoir. L'absence de bottes de Madoka pourrait s'expliquer par le fait que les bottes sont généralement ce qui protège de la corruption de la terre, de la saleté. Or Madoka est tellement naïve qu'elle ne peut même imaginer cette corruption. Au contraire, Homura est celle qui porte les bottes les plus hautes, car elle a conscience de la corruption qui atteint tout : elle fait son vœu de Maho Shoujo en toute conscience de son sacrifice, et de sa qualité de coquille sans âme. Elle est la seule, avec Madoka, à procéder ainsi. Mais le vœu de Madoka est universel, elle rachète le désespoir – ou les péchés – du monde, elle fait office de figure christique. Homura au contraire fait un vœu individuel qui décide d'ignorer les conséquences. Bien qu'elle soit tournée vers une autre, son vœu est profondément égoïste, comme peut l'être le désir.


Ce désir s'oppose à l'amour qui est porté par Madoka : elle est dotée de l'arme de Cupidon et de la couleur symbolique associée à ce sentiment. De même que Dieu envoie son fils se sacrifier pour les hommes, ce fils qui doit revenir prendre les âmes le jour du Jugement Dernier, de même sa mère envoie Madoka se sacrifier pour les Puellae Magi, elle qui doit revenir en leur dernier jour pour recueillir leur âme. Ce que Madoka leur offre, c'est cette possibilité de vivre pleinement leur âge adulte et de ne plus craindre cette spirale du temps qui les entraîne vers la mort. Ce qu'elle leur offre, c'est la purification de leur désir de vivre, de leur désespoir de grandir, vieillir, mourir. Ce qu'elle leur offre, c'est l'amour. L'amour de la vie, certes, mais avant tout l'amour d'elles-mêmes, de leurs rêves et de leurs craintes.



Le désir



Cet amour, Homura le retransforme en désir en y ajoutant l'égoïsme : ainsi se recrée la boucle initiale : espoir, désespoir, espoir, désespoir, tout deux sortis de cette boîte de Pandore qu'est le cœur humain s'ouvrant à la conscience de sa condition de mortel : c'est sa plus grande force et sa plus grande faiblesse.


Pourquoi alors Homura décrit-elle le principe qui la fait évoluer du stade de sorcière à celui de démon comme étant l'amour ? Parce que c'est l'espoir de l'amour, de la Loi du Cycle – ce qui la protège de la transformation en sorcière -, associé au désespoir d'en être privée – ce qui la rend sorcière – qui crée son principe de désir.


La bobine, que beaucoup ont identifié comme un rappel à la théorie freudienne du « fort-da » (que je ne connais pas, je m'appuie sur les lectures des critiques précédemment citées), montre le principe mental qui vise à recréer le désir et sa souffrance pour en récréer le comblement et la satisfaction qu'il engendre. C'est là le mouvement perpétuel d'Homura au cours de ses voyages temporels, puis ensuite dans son statut de sorcière et de démon : plus elle s'éloigne de Madoka, plus son rapprochement devient logique, à la manière d'un ressort ou d'un mouvement du monde digne de la théorie des cordes.



Petite fille deviendra grande



Le labyrinthe des sorcières rappellent le pays des merveilles cher à Alice ; on y suit Kyubey, cette sorte de lapin blanc, qui nous entraîne, et on sort de ce labyrinthe grandies. On y passe pour entre ensuite de l'autre côté du miroir, comme semble le représenter la porte des labyrinthes. Le code couleur des Puellae Magi est intéressant : il oppose le rose innocent de Madoka au noir vicié ou violet sombre – comme un rose vieilli et corrompu – de Homura.


Puella Magi, si l'on respecte la déclinaison, signifie « la jeune fille du sorcier ». Puella correspond en japonais à « shojo », ou « otome » : il s'agit de la jeune fille nubile, mais non encore mariée. De la vierge en somme, statut qui a son importance dans l'accès au divin, et à la magie, tout comme dans A la Croisée des Mondes, de Philip Pullman. Le pouvoir ou le lien avec la pureté divine se perdent lorsque l'amour est réalisé et abouti. Ce sorcier, « magus », serait alors Kyubey, à qui les Puellae Magi sacrifient leur jeunesse, puisque devenir sorcière signifierait passer à l'âge adulte.


Et à quel autre moment de la vie les jeunes filles prennent-elles consciences de leur mortalité que lorsqu'elles se découvrent aptes à donner la vie à leur tour ? Cette conscience de la mort, cette prise de conscience est magnifiquement illustrée par l'anime dans l'épisode 3, le fameux, où le spectateur comme les personnages quittent violement le monde de l'enfance et des magicals girls pour rentrer brutalement dans celui des adultes et de Gen Urobuchi, qui assome son public à grands coups de « Memento Mori ».


Et ce fameux ruban rouge, attaché aux couettes de Madoka ? Et s'il représentait cette fameuse Loi du Cycle, supposément cycles mensuels de la femme ? Alors Madoka l'a donné à cette enfant qui ne veut pas grandir, Homura, comme une mère explique à sa fille sa condition de femme. Et Homura porte ce ruban de travers, sur le côté de sa tête, comme le déséquilibre qu'il crée chez l'adolscente qui découvre cette nouveauté de son corps. Homura, qui refuse de grandir, et se fait même démon déicide pour éviter cette fatalité, rend le ruban à Madoka, chez qui il est équilibré : il retrouve alors sa place naturelle, et le ruban rouge rejoignant l'amour devient chez la femme principe de vie. Notons au passage que ce ruban rouge rappelle le fil rouge du destin censé relié les âmes sœurs.


Vous, lycéens, si jeunes et si neufs encore dans le monde merveilleux de l'interprétation, vous qui arguez que l'auteur n'a pas pu pensé à tout cela, que les profs exagèrent leurs interprétations, que cela détruit la vision personnelle de l'oeuvre et les sentments qu'elle vous procure, vous, lycéens, regardez Puella Magi Madoka Magica. Et voyez si, comme moi, vous n'êtes pas autant éblouis par la multiplicité et la profondeur des interprétations que par l'oeuvre elle-même.

LuiseDiLida
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le 28 juil. 2017

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