Des phénomènes étranges se manifestent en plusieurs points du globe, sans connexion apparente. Sauf pour le professeur Claude Lacombe (François Truffaut), qui veut y voir la preuve que ses recherches sur les extraterrestres ne sont pas vaines, et qu’il n’a jamais été aussi près d’aboutir. C’est aussi l’avis de Roy Neary (Richard Dreyfuss) qui, pour avoir été témoin de l’apparition d’OVNIs, ne vit plus que pour une chose : retrouver les créatures qui étaient à l’intérieur des appareils qu’il a vus…



Etant donné qu’il n’y a aucun besoin de le présenter et de présenter sa renommée, il est difficile de trouver une accroche originale lorsqu’on doit ouvrir une critique sur Steven Spielberg. Et en même temps, on ne voit pas trop sur quel autre sujet ouvrir une critique de Rencontres du troisième type, dans la mesure où le sujet principal d’un film de Spielberg, c’est toujours Spielberg lui-même. Non d’une manière égocentrique, loin de là, mais comme tous les grands artistes, quand le grand Steven fait un film, c’est d’abord Steven qu’il raconte, qu’il illustre, qu’il met en scène. Et Rencontres du troisième type est absolument un film sur Spielberg.

Œuvre fondatrice s’il en est, cette dernière nous rappelle – une fois n’est pas coutume – pourquoi le cinéma de ce réalisateur est si grand. Non qu’il soit totalement dénué de défauts (encore que…), mais à chacun de ses films, l’artiste confirme sa capacité à dépasser tous ses menus défauts pour nous offrir un pur instant de cinéma.

Rarement un film aura réussi non seulement à nous faire rêver, mais à nous faire partager les rêves de son créateur. Et les multiples couches de lecture de ce chef-d’œuvre ne me contrediront pas. Le prendre au premier degré est probablement la meilleure manière d’aborder Rencontres du troisième type, cela suffit amplement à nous en montrer le génie. Cette histoire d’extraterrestres gentils qui viennent prendre contact avec les humains dans un esprit de partage et d’amitié peut certes être considéré comme bête et naïf à l’excès par ceux qui veulent s’empêcher de rêver. Mais on ne peut que déplorer que ces gens-là aient à ce point perdu leur esprit d’enfance, celui dont Spielberg fera admirablement l’éloge lors de son passage dans La Quatrième dimension et qui est la seule condition impérative pour pouvoir aborder sa filmographie.


On se prend donc à rêver, la bouche bée, devant cette histoire d’envahisseurs pas du tout envahissants, et à se laisser porter au même rythme que les personnages, fasciné par ces lumières descendues du ciel et qui se manifestent devant nos yeux émerveillés. Il faut dire que le travail de Spielberg sur les lumières touche ici un de ses sommets les plus absolus. Avec l’immense Vilmos Zsigmond à la photographie, le film atteint une perfection esthétique que seul un maître du calibre de Spielberg pouvait égaler. C’est d’ailleurs la qualité visuelle du film qui prédomine dans l’attachement qu’on lui porte, tant le réalisateur sait garder de longs moments de silence afin de ne pas trop en dire et de nous immerger au plus profond de ses images uniques. Ainsi, les plus belles séquences du film se passeront de mots, qu’il s’agisse de la première apparition des vaisseaux, de l’enlèvement d’un enfant pour une fois consentant, ou d’une prise de contact intime et monumentale dans un des plus beaux finales de Spielberg.

C’est d’ailleurs toute l’essence du film, dont le sujet principal est la communication, ou plutôt l’absence de communication, qui réside dans ces quelques scènes où les mots s’effacent pour laisser parler le visible, l’universel. On peut donc continuer sa lecture du film en partant sur ce terrain où la naïveté du réalisateur s’étale à nouveau dans un ensemble joliment poétique. Bien sûr, on pourrait à nouveau gloser sur une vision géopolitique discutable abolissant toute forme de frontière entre les peuples mais là n’est pas l’intérêt du film. Spielberg préfère à cette vision universaliste une vision beaucoup plus intime des choses qui se déroule au niveau des individus. L’absence de communication, elle se trouve entre Roy Neary et sa femme, entre Claude Lacombe et ses collègues, entre Barry, pas encore en âge de parler, et sa mère qui ne peut le comprendre. Mais entre eux, tous ces gens réussiront à communiquer, car ce qu’ils ont à se dire se passe de mots. Les scènes illustrant le développement des relations entre Lacombe, Neary et Jillian sont les plus belles, car on voit à travers les mots maladroits, les regards intenses et les gestes modérés une magnifique unité d’esprit se mettre en place, rappelant à merveille l’importance de la relation dans la manière dont l’Homme se définit.


Mais en tant que cinéphile, c’est peut-être le troisième niveau de lecture qui convainc totalement du statut de chef-d’œuvre de ce film. Car en effet, si Rencontres du troisième type est évidemment un film sur Spielberg et son esprit d’enfance, il est aussi un film ultra-puissant sur le cinéma. Et lorsqu’on découvre cette clé de lecture, tout le récit devient un jeu de pistes phénoménal où l’on s’amuse à chercher le moindre parallèle. Tous ces personnages en quête de quelque chose qui les dépasse incarnent une figure entretenant un lien particulier avec le cinéma (où un désintérêt pour la femme de Roy, par exemple). Roy Neary devient alors un fan prêt à tout pour pénétrer dans l’œuvre qu’il admire plus que tout (qui n’a jamais rêvé d’entrer dans un film de Spielberg ?) et traquer la beauté là où elle se trouve, tandis que Claude Lacombe devient un réalisateur à la recherche de l’image la plus pure et la plus parfaite qu’il puisse capturer (expliquant également un choix de casting peut-être étonnant de prime abord), entrant dès lors en communion d’esprit totale avec ses fans qui l’ont le mieux compris.

On ne peut s’empêcher dès lors de craquer pour le jeune Barry, qui semble être une anticipation lointaine du petit Sam Fabelman, et donc sans aucun doute un reflet encore plus lointain d’un enfant nommé Steven, tous trois unis a minima par les étoiles que l’on peut voir dans leurs yeux, si on prend le temps de les regarder. Car au-delà du cinéma, bien plus loin que l’écran et les images qu’ils bougent, ce que tous voient, et ce qu’on admire à leur suite, c’est tout simplement la Beauté. La Beauté la plus pure, celle qui élève l’âme et le regard, celle qui efface toute laideur là où elle passe, la Beauté qui imprime sa marque sur tous ceux qui acceptent de la voir en face et qui, à leur tour, vont la véhiculer autour d’eux, la Beauté en quête de laquelle sont partis Roy Neary, Barry Guiler, François Truffaut et Steven Spielberg.

Cette Beauté, rarement Spielberg a su l’illustrer aussi bien qu’ici (sinon dans The Fabelmans), même si bon nombre de ses films n’en parviendront vraiment pas loin. C’est ce qui fait de Rencontres du troisième type un chef-d’œuvre si unique en son genre. Car bien loin de fonder uniquement le genre du film d’extraterrestres, c’est une pierre fondatrice au cinéma en lui-même que Spielberg pose ici. Ce faisant, il nous montre ainsi ce que le cinéma sait faire de meilleur, ce pour quoi il a été créé et ce pour quoi il est le plus grand des Arts, ramenant Spielberg à la fonction première de l’Artiste : créer la Beauté, oui, mais bien au-delà et avant toute chose, révéler la Beauté.


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le 21 mars 2023

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