Roma
7.1
Roma

Film de Alfonso Cuarón (2018)

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Cuaron, après de grands succès internationaux (Les Fils de l'Homme, Gravity et même le Prisonnier d'Azkaban) change ici totalement de registre. Pas d'effets spéciaux - ou si peu, pas de couleurs, pas d'actions chamarrées et extatiques, pas de musique splendide et pieuse. Ici, il nous livre un film intimiste, pudique, sobre, s'intéressant à son enfance au Mexique, revenant aux racines de sa vocation de cinéaste.


La dimension de racine est je crois essentielle ici. Plusieurs fois Cuaron cite ses propres influences, notamment les films d'astronautes des années 70, le cinéma comique français avec de Funès, ou encore filme un enfant qui patauge dans une mare en costume de cosmonaute, référence à la scène finale de Gravity. C'est donc une oeuvre d'introspection.


Il parle bien entendu de son enfance à Mexico, de la classe moyenne mexicaine, qui vit les affres de la modernité, et la vie dans leur ombre de domestiques, anonymes et discrets serviteurs, arrachés à leurs provinces pour répondre aux caprices des bourgeois de la capitale. Le titre du film, Roma, fait allusion à un quartier de la capitale mexicaine où Cuaron a grandi. C'est à travers le prisme de l'une des domestiques, Cleo, incarnée par une fabuleuse Yalizia Aparicio, pudique, retenue, qui nous fait vivre le destin d'une famille ordinaire de Mexico. Beaucoup des acteurs présents sont débutants, servant un propos social et réaliste.


Ici, on est baigné dans une ambiance noir et blanc, sorte d'image d'Epinal, si caractéristique de l'époque et de la vision du cinéma que se fait le réalisateur. Cuaron nous plonge dans une atmosphère sonore et visuelle ahurissante. Pas de musique ou d'effets extradiégétiques. Tout est naturel, pour une immersion totale. Cuaron multiplie les plans séquences, rendant l'immersion plus puissante encore. Tout parait si facile dans sa caméra. Il y a une aisance, une maitrise rare, qui contraste avec le caractère intimiste et personnel du film. Cette rigueur, dans le cadre et la construction des plans, va de paire avec l'enfermement des personnages dans des lieux et des habitudes. A de rares moments (le jour de l'an, des vacances à la mer) ils partent mais finissent toujours par revenir à cette maison mexicaine, cette cour exiguë et ce couloir dallé couvert de déjections canines.


Les scènes intimistes de cette famille au bord de la rupture, que le père médecin fuit, que la mère, débordée, dépressive et alcoolique, ne parvient plus à animer et que les bonnes maintiennent tant bien que mal hors de l'eau, marquent, par un humour discret mais présent, par des petits moments de bonheur, tendrement ironiques. Cleo berce les trois adorables enfants de la famille comme si c'était les siens. Elle sauve même la fille de la noyade. Elle les aime ces mômes. Parfois, les enfants la prennent pour une mère ou une domestique, selon les besoins du moment. Le film égratigne pourtant la gentillesse absolue de Cleo. Un jour, elle tombe enceinte, d'un garçon qui la fuit pour ne pas avoir à assumer. Elle croit encore en son rêve de famille et de maternité. La mère rêve de revoir son mari, les enfants d'une famille unie, Cleo de fonder sa propre famille et de s'émanciper de ses employeurs ; mais tout demeure impossible, bouché pour les personnages. On lève les yeux vers le ciel, un avion passe et tout s'évapore.


Le film est cruel. Chacun se sacrifie à sa manière. Pour Cleo c'est la perte de sa fille, mort-née - dans une scène terrible, à la suite d'une séquence d'une grande violence mais magistrale. Pour la famille, il faudra accepter le départ du mari et une vie moins cossue. Les enfants pleurent. Ils affrontent la cruauté de l'existence. Les dialogues, les disputes, les larmes, les rires aussi ; tout y est subtil, rapports intimes et vivants entre les protagonistes, pour nous faire sentir le poids d'une époque. Exit la fantaisie, la dystopie, la science-fiction, ici on vit sur la terre ferme. On voyage dans le Mexique des années 70, à la ville, à la campagne, à travers les visages d'une famille, nous montrant les turbulences d'une époque politiquement et socialement trouble : des émeutes étudiantes réprimées dans le sang notamment, une des scènes forte du film où Cleo recroise le père de son enfant reconverti en milicien cruel, et qui, sous le choc d'un homme abattu juste à côté d'elle, perd les eaux.


Le film est donc un film sur les racines. Cuaron, comme ses personnages, fut ancré solidement dans la dureté de l'existence terrestre au Mexique. C'est par le cinéma que le réalisateur a levé les yeux vers le ciel, s'est envolé vers d'autres horizons. Il lui fallait donc revenir aux racines pour comprendre comment il a pu côtoyé le ciel et même les étoiles, rendant ainsi hommage aux gens qui sont restés là-bas, dans la réalité du Mexique, achevant son film par un plan s'élevant peu à peu vers les cieux et où un avion passe, signe d'un ailleurs enfin possible.

Tom_Ab
8
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Créée

le 29 déc. 2018

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