Il s'agit de mon 3ème film de S. Craig ZAHLER après Bone Tomahawk et Dragged across concrete. Et une fois encore, je reste groggy après le visionnage d'un film de genre à nul autre pareil. Vince VAUGHN est peut-être dans son meilleur rôle, juste après le Norman BATES du Psycho de Van Sant. Son jeu est physique, on sent la brute épaisse, aux gestes et à la démarche ralentis, sous laquelle affleure une intelligence et un humour mortifère. C'est un personnage de loser accablé et fataliste : la perte de son travail miteux l'infidélité de sa femme ne semblent pas l'affecter de prime abord mais, comme une pile en charge, on sent que ces événements viennent abonder une colère et une sauvagerie qu'il laisse exploser comme autant d'autodestructions. La violence de VAUGHN, si elle est tournée au tout début contre des objets inertes, est avant tout une violence qu'il s'inflige à lui même. Ses bandages et stigmates le suivent pendant toute la durée du film. Son passé de boxeur n'est qu'effleuré, mais on sent poindre là-aussi le drame intime derrière cette présumée carrière de démolisseur des rings. En somme, sous les traits d'un personnage violent, massif, radical (la tête rasée et le tatouage de crucifixion à l'arrière du crâne), apparaît un homme usé par la drogue (il a arrêté), une vie de misère et de violence, et la perte d'un enfant à naître. Le cadre est posé, et l'on retrouve ce qui m'avait subjugué dans Dragged, la langueur, la lenteur (magnifiées par la démarche fatiguée et lourde de VAUGHN) qui sont autant de marques que ZAHLER veut prendre son temps. Les scènes s'étirent jusqu'à une forme d'arrêt sur image, les silences et les regards s'appesantissent mais là où certains critiques y voient une faiblesse, j'y vois une méthode et une théorie du cinéma captivantes : ZAHLER réinvente le cinéma de genre, et de sous-genre en appliquant des principes de respect de l'acteur et de son jeu, lui permettant de s'installer dans le film et de nous familiariser avec lui. J'ai lu ça et là que le scénario était famélique, plat et sans astuce. Peut-être, mais ce qui m'intéresse dans ce genre de films, c'est comment un orfèvre va traiter un matériau de base assez convenu : finalement, n'est-ce pas une resucée de Kiss of death avec ce héros que les circonstances rattrapent et à qui la poisse colle à la peau? Mais c'est là toute la force du cinéma de ZAHLER, il transcende ce matériau, avec des facilités et une forme de licence poétique (le parcours carcéral à grande vitesse de VAUGHN peut gêner la crédibilité du propos mais il sert la trame dramatique jusqu'au dénouement qui, si on se réfère aux autres métrages de ZAHLER, ne laisse guère de doutes).
Quelques mots sur la violence, notamment des dernières minutes du film : aussi incroyable et irréaliste soit-elle, cette violence graphique, grand-guignol n'est selon moi pas le fruit de la pinceur du budget. C'est un choix artistique qui nous permet de comprendre combien l'humanité de notre anti-héros s'est dissoute dans l'inhumanité et l'atrocité des autres protagonistes. L'idée malade des représailles tournées vers Jennifer CARPENTER (plus présente que dans Dragged, et très surprenante) et son bébé, nauséeuse à souhait, n'existe finalement que pour justifier de la sauvagerie, mâtinée d'invincibilité, du taulard VAUGHN.
J'avais déjà remarqué la sonorité des impacts de balles dans Dragged, l'exercice est le même avec les coups de poing que donne VAUGHN lorsque la violence, par devoir, déferle. Les sons des coups sont secs, mats, voire étouffés. Coups dont on peut se demander comment ils peuvent faire mal alors qu'ils sont tous fatals. Les chorégraphies de combats (quasiment exclusivement à mains nues) sont elles aussi moquées par leur lenteur, leur aspect téléphoné. Là-encore, je suis convaincu qu'il s'agit d'un choix, renforçant le côté force tranquille de VAUGHN : nul besoin d'avoir l'illusion de la rapidité pour que la violence nous atteigne, cette lenteur assumée, c'est aussi la détermination de cet homme que rien ne pourra arrêter pour que sa fille naisse (le décompte des jours avant la naissance prend une saveur désespérée quand on sait que la peine à purger sera de sept ans).
Quelques mots enfin sur le choix du casting, marque de fabrique et coup de génie de la patte ZAHLER : s'il réunit VAUGHN, JOHNSON et CARPENTER comme dans Dragged, il fait le choix judicieux d'Udo KIER dans le rôle de l'émissaire suave et cruel. Ces choix sont non seulement judicieux, mais ils révèlent aussi la passion d'un réalisateur pour des acteurs souvent catalogués et qu'il parvient à faire sortir e leur zone de confort.
J'en terminerai sur la peinture du monde carcéral par ZAHLER, et c'est de mon point de vue le côté politique du film : la référence à la prison modèle autrichienne, le nom de la prison The Fridge, Redleaf et surtout des matons pervers qui sont douloureusement châtiés nous montrent un univers carcéral inhumain, sans loi et pire que les détenus qui y résident, lesquels nous apparaissent plus comme des paumés que des prédateurs ou des fauves.
Excellent film qui réhabilite un autre sous-genre, après le polar et le western : le film de prison si souvent caricatural.

Ossorio
9
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le 13 juin 2020

Critique lue 150 fois

Ossorio

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