Il n’est pas nouveau que les procès d’intentions et les attaques ad nominem, menés au nom de la lutte contre ce que l’on désigne volontiers par les termes d’élitisme et de népotisme, se substituent au jugement critique d’une œuvre. Il est, en revanche, plutôt alarmant de constater la naissance d’un lynchage médiatique massif causé par un nom – Lindon, en l’occurrence –, par un milieu socio-culturel – la bourgeoisie parisienne – et par ce qu’ils représentent tous les deux dans le paysage audiovisuel français.


Que Michèle Laroque creuse le sillon médiocre de son premier long métrage avec Chacun chez soi (2021) ne semble troubler personne. Qu’Éric Lavaine s’offre le luxe d’une suite à son piteux Retour chez ma mère (2016) ne scandalise pas. Mais qu’une « fille de » daigne écrire et réaliser son premier film sans jouer la carte de la comédie populaire bas de gamme, qu’elle ose le mélange des genres et des influences, la peinture d’une relation complexe qui échappe en partie aux codifications actuelles – nous sommes loin des produits qui vomissent leurs thèses bon marché pour appâter un spectateur en quête de morale –, la construction d’une forme en échos forte de répétitions, d’incessants mouvements d’entrées et de sorties pour incarner à l’écran l’instabilité émotionnelle de l’héroïne, ça ne passe pas. On crie au scandale. On s’offusque. Le film a-t-il seulement été vu ? vu pour ce qu’il est, à savoir une première réalisation maladroite mais dotée d’audaces et d’une justesse tonale appréciable ?


Il faut que Suzanne Lindon soit remerciée pour plusieurs raisons, dont la première tient au regard qu’elle porte sur cette période difficile qu’est l’adolescence ; un regard d’adolescente sur l’adolescence, en somme. Nous retrouvons un appétit de véracité et d’éclat similaire à celui qui définissait les débuts de Xavier Dolan ; d’autant plus que la forme constitue également le laboratoire d’une retranscription hasardeuse d’une intériorité elle-même étrangère aux autres, une intériorité qui ne se livre pas et dont l’opacité demeure à l’image. Nous nous attachons au personnage parce qu’il est différent mais jamais rejeté pour sa différence, déjouant l’écueil du manichéisme et du dolorisme que l’on observe si souvent et qui insupporte tant. Au contraire, ici la différence se conjugue et les solitudes se conjurent dans un amour impossible qui se passe de mots, qui échappe aux conventions et qui s’ancre dans un lieu précis, un théâtre, telle une mise en abyme de l’artificialité congénitale de l’œuvre elle-même qui extériorise les élans amoureux par des chorégraphies et des morceaux de Christophe.


L’importance accordée aux acteurs, la place laissée au silence et à l’étrangeté, le nombre réduit de décors, tout cela n’est pas sans évoquer le cinéma de Marguerite Duras ; une référence de fond que Suzanne Lindon n’explore pas jusqu’au bout. Nous regretterons alors que les références finissent par saturer la romance et que la relation entre les deux protagonistes principaux manque d’incarnation ; pourtant, Seize printemps n’en demeure pas moins une proposition de cinéma intelligente et audacieuse qui aborde le cinéma comme un art à expérimenter. Aussi, avant de disqualifier une œuvre sous un prétexte prétendument moral ou idéologique, il convient de la voir pour ce qu’elle est ou de s’abstenir de la critiquer par souci de rejoindre la bien-pensance du moment.

Créée

le 23 juin 2021

Critique lue 1.8K fois

8 j'aime

5 commentaires

Critique lue 1.8K fois

8
5

D'autres avis sur Seize printemps

Seize printemps
Diabetico
6

Culte

Je suis parti le voir à cause (ou grâce) de la polémique autour du film… et faut l’avouer j’ai rarement autant rigolé devant un film qui n’est pas fait pour. Les dialogues sont tout simplement...

le 25 juin 2021

26 j'aime

Seize printemps
Bouffe_Chiasse
1

Hâte de voir Dix-Sept Été

Mon Dieu mais quelle daube ! Faut arrêter de donner les rennes de projet à des enfants de réalisateurs/acteurs/ producteurs, car ça donne ceci. Alors le film raconte l'histoire de Suzanne (comme...

le 18 juin 2021

22 j'aime

9

Seize printemps
Moizi
3

C'est nul, mais j'aurais jamais été capable de réaliser ça à 18 ans...

Le film qui s'en est pris plein la tronche parce que réalisé par une petite bourgeois cooptée (et parce que ça avait l'air assez nul, on ne va pas se mentir) est enfin sorti en VOD ! Et franchement...

le 21 sept. 2021

20 j'aime

3

Du même critique

Sex Education
Fêtons_le_cinéma
3

L'Ecole Netflix

Il est une scène dans le sixième épisode où Maeve retrouve le pull de son ami Otis et le respire tendrement ; nous, spectateurs, savons qu’il s’agit du pull d’Otis prêté quelques minutes plus tôt ;...

le 19 janv. 2019

86 j'aime

17

Ça - Chapitre 2
Fêtons_le_cinéma
5

Résoudre la peur (ô malheur !)

Ça : Chapitre 2 se heurte à trois écueils qui l’empêchent d’atteindre la puissance traumatique espérée. Le premier dommage réside dans le refus de voir ses protagonistes principaux grandir, au point...

le 11 sept. 2019

77 j'aime

14