Ridley Scott est un metteur en scène à la carrière inégal, pouvant tirer de son art le meilleur comme le pire. Beaucoup vont même jusqu’à dire qu'il nous offre le pire de sa carrière depuis ses dernières années, bashing alimenté par la déception que fut son Prometheus. Mais si on prend du recul sur sa carrière on constate que des mauvais films il en a fait à intervalle régulier et que donc nous ne somme pas dans une des pires phases du cinéma de Scott. La période White Squall, GI Jane et Hannibal, ça c'était le fond du fond suivit quelques temps après par A Good Year. Finalement à bien y regarder, sa période post Prometheus n'est pas si mal, surtout qu'il nous a offert le brillant The Counselor. Mais même si beaucoup on été injuste avec le cinéma de Scott, il semblerait qu'il revienne cette année avec un film qui met tout le monde d'accord et qui pour beaucoup ferait même partie des meilleurs films de l'année.


Il faut dire que le ton choisi pour mener à bien le scénario est plutôt original et surprend de prime abord. Faire d'un survival dans l'espace, ou du moins une planète pas très accueillante, une comédie, c'est un choix plutôt couillu et ici admirablement exécuté. On rit devant ce film comme jamais on ne l'avait fait cette année, c'est frais et diablement salvateur comme approche. Le récit explore donc la genre de la hard SF avec beaucoup de second degré, n'hésitant pas à se moquer des clichés du genre et en laissant tout l'aspect religieux de côté. Ici pas question de faire dans le mystique mais de se plonger corps et âme dans le "rationnel" et le "plausible", la seule effigie à la religion est brûlée dès les premiers instants du film. On est donc pleinement dans une oeuvre de Scott, moins religieuse que la plupart des divertissements américanisés et plus ancré dans le facteur humain. Malheureusement ici les personnages sont bien trop stéréotypés pour créer un quelconque attachement avec le spectateur. Ils ont aucunes psychologies et le seul vraiment traité sur ce point est le personnage principal mais ça reste aussi indéniablement succinct. L'histoire préférant au final les rouages derrière une telle affaire (Comment survivre sur Mars ? Comment récupérer cet homme le plus vite possible et etc.) plutôt que les répercussions qu'elle peut avoir sur l'Homme. Cet aspect tend donc à être décevant, multipliant les personnages peu attachants et parfois même inutiles. Néanmoins ce qui sera le plus déstabilisant c'est qu'après avoir détourné les clichés pendant les trois quarts du long métrage, Scott s'y plonge allègrement dans un final plus traditionnel et patriotique abusant d'effets agaçants qui amoindrissent l'impact de la fin. Comme par exemple avec le fait que le monde entier se retrouve devant leurs télévisions à suivre les événements en direct et réagissant à l'extrême à chaque retournements de situations. C'est quelque chose que l'on voit très souvent dans les films de sport mais qui n'a pas sa place ici. On se retrouve donc devant un divertissement habile et très drôle mais qui est aussi assez impersonnelle et rate sa conclusion.
Pour le casting, l'ensemble est dominé par un Matt Damon au sommet de sa forme. Il est ici prodigieux dans son rôle arrivant à retransmettre avec justesse le second degré et la légèreté de son personnage mais aussi ses doutes et angoisses. Il est accompagné d'une distribution exemplaire et prestigieuse avec un excellent Chiwetel Ejiofor, la toujours très juste et charismatique Jessica Chastain ainsi que le très bon Jeff Daniels. Le reste du cast est tout aussi connu et très bon mais souffre d'une sous exploitation pour vraiment s'imposer comme par exemple l'ajout forcé et peu convaincant d'une romance entre le personnage de Kate Mara et de Sebastian Stan lors du dernier acte pour tenter d'impliquer émotionnellement le spectateur avec un personnage secondaire qui va mettre sa vie en jeu. C'est une tentative maladroite et mal vue qui indique que dans tout blockbuster qui se respecte, il se doit d'y avoir une romance, ce qui se montre très réducteur envers les personnages mais aussi envers le spectateur. Par contre, l'ensemble contrebalance ses lacunes avec son humour à toute épreuve notamment avec des références habiles à la pop culture en faisant une utilisation brillante du personnage de Sean Bean.
Et surtout l'oeuvre peu s'appuyer sur une réalisation en béton. Comme toujours avec Ridley Scott on a affaire à un travail soigné avec une très bonne photographie et un montage bien pensé qui jongle à merveille entre les scènes sur Mars et celle sur Terre, assurant à l'ensemble un rythme impeccable. Le film arrive même à faire de sa sélection musicale un running gag tordant et bien trouvé tandis que les compositions originales de Harry Gregson-Williams se montre inspirées et exaltantes. Le tout accompagnant une mise en scène maîtrisée et élégante qui fait parfois preuve de bonnes idées et offre souvent des mouvements de caméras ingénieux, fluides et spectaculaires. Après comme toujours avec Scott, l'oeuvre est emprunt d'un certain classicisme mais ici ça ne fait que renforcer la puissance esthétique qui se révèle souvent très classe.


En conclusion The Martian est un très bon film car il manie avec une extrême finesse et beaucoup d'habilité, l'humour et le second degré, faisant de lui un divertissement haut de gamme original et frais malgré un genre surexploité ses derniers temps. Il réinvente la hard SF avec intelligence mais souffre malheureusement de beaucoup trop de maladresses comme ce final bâclé et inconséquent ainsi qu'une sous exploitation du facteur humain, faisant de l'ensemble une oeuvre assez impersonnelle qui se pare d'artifices dérisoires pour créer un attachement avec le spectateur alors qu'au final l'humour s'en était déjà chargé à merveille. Rajoutons à ça un casting exemplaire et une mise en scène impeccable et on tient assurément un des divertissements incontournables de cette fin d'année.

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le 26 oct. 2015

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